Benedict — the power of love

Triggered warning: décès, deuil, accident de voiture, homophobie, idées noires.

Né en Irlande, Benedict n’a vécu là-bas qu’un peu plus d’une décennie. Son enfance n’était pas parfaite, mais bien loin des tristes histoires que l’on peut entendre. Son père était dur, mais juste, là où sa mère avait peut-être tendance à trop couver son fils unique. Un équilibre était là, malgré de nombreux non-dits, plutôt commun pour les années 80-90.
C’est pendant sa douzième année de vie que le destin changea de la plus funeste des façons. Pourtant, rien n’annonçait que cette nuit froide de décembre allait être aussi tragique. Ses parents, alors rentrant d’une soirée organisée par des amis, perdirent le contrôle du véhicule, s’enfonçant dans un platane qui, lui sortit vainqueur de cette collision. L’alcool avait joué son ultime joker. Mr. Greenfield décéda sur le coup et Mme Greenfield, quelques heures après. Pendant ce temps, Benedict, lui, dormait une toute dernière fois dans cette grande maison familiale.

Sans parents légaux, et n’ayant que pour famille ses grands-parents américains, il traversa l’atlantique pour parvenir dans son nouveau foyer. Seattle, je t’en prie, sois doux avec cet enfant…  

Peu importe de qui était cette prière, elle fut entendue. Ces grands-parents paternels n’étaient pas d’une première jeunesse, mais ils avaient le mérite de tout faire pour aider ce petit bout de chou : bonne éducation, suivi psychologique, soutien dans ses passions… Bref, tout ce qui a empêché Benedict de sombrer dans ses propres démons. Ils étaient, ils le sont encore, mais ce nouvel amour familial avait le mérite de calmer sa profonde tristesse. A-t-il fait son deuil pour autant ? Non. Jamais. Ses parents, aussi imparfaits pouvaient-ils être, ont laissé un vide que Benedict ne peut combler. Trop de doutes, de peur, d’absence, et de regret. Est-ce que ses parents accepteraient sa vie ? Son orientation sexuelle ? Son métier ? Sa nouvelle famille ? Parfois, ses questions vont et viennent dans son esprit, et le résultat est toujours le même : l’envie de s’isoler et d’imaginer… Rêve d’eux, et de ce qu’ils auraient pu dire et devenir.

Un comportement qui pouvait parfois inquiéter, il est vrai. Cependant, la seule fois où le jeune homme ne songeait plus à son passé, c’était devant une machine à coudre. Une passion lui venant de sa grand-mère, Kathy, elle-même très grande passionnée part cette pratique. Le grand-père, André, lui était bien dubitatif quant à cette activité « de femme », mais rapidement, forcé de constater que son petit fils était doué, il l’encouragea dans cette fois —et il était plus que probable que sa femme portait la culotte et le poussa dans ce sens.

Avec la montée de l’homophobie et du sida aux Etats-Unis, il a été tout bonnement impossible pour Benedict d’avouer que, en plus des femmes, il éprouvait des sentiments pour un homme ; ou que du moins, c’était possible. Il a été dans le placard jusqu’au décès de ses grands-parents, dans les années 2010. Même sa propre femme, Alice, n’a jamais été au courant de cela. Et dans son domaine professionnel, être un homme, couturier et talentueux, les raccourcis étaient rapides… Et dangereux. Sans avoir admis quoique ce soit, il a déjà été victime d’homophobie.

Par « chance » —si on peut réellement appeler cela ainsi— la présence de sa petite amie —alors devenue très rapidement sa femme et la mère de sa fille— l’a beaucoup sauvé. Etre hétéro ? ça ouvrait des portes. Alors ne vous y trompez pas. Alice, c’était bel et bien l’amour de sa vie. Rencontrés au lycée, ils ne se sont jamais quittés, animés par leur amour réciproque et commun pour la mode. Leur premier baiser ? Au bal de printemps des premières années, comme pour beaucoup.

Alice, c’était tout le contraire de Benedict. Une pile d’énergie, débordante de bonne humeur, même dans les pires situations. Elle était aussi douce, intelligente mature, espiègle, chipie… Elle avait tout pour elle, tout pour réussir… Et elle avait réussi. Ses résultats étaient meilleurs que Benedict, pourtant ayant un excellent niveau aussi. A new-York, elle brillait, et ça, c’était la plus belle chose qu’il pouvait admirer. Vivre dans son ombre ne lui posait pas de problème. Pour lui, une femme pouvait et avait le droit d’exceller et de gagner les mérites de son travail.

Forcément, rencontrer une personne aussi admirable était la chance de sa vie de fonder sa propre famille. La question des enfants ne se posait pas, mais celle du mariage, oui, très rapidement. Une demande en mariage pendant le bal de l’université ? En voilà une excellente idée. Bague aux doigts —et diplômes e poche, ils étaient prêts pour la nouvelle étape de leurs vies… Paris.

Conquérir l’Europe et sa vision de la mode n’était pas un rêve facile… Mais qui ne rêve pas haut ne peut pas atterrir dans les étoles, enfin, les étoiles, pas vrai ? Et pourtant. Benedict était chez Jean-Paul Gauthier, et Alice, à la Maison Margiela. Bien évidemment, il ne fallait pas être bête, ils n’étaient là que des petites fourmis dans une fourmilières de luxe ; bien cachés dans l’ombre des grands noms de ces grandes maisons de couture… Mais malgré cela, ils vivaient le parfait bonheur.  Après le rêve américain, était-ce là, le rêve français ? Peut-être bien.

Un rêve qui ne dura pourtant pas… En France. 2003 allait être la dernière année au pays de la mode pour le couple. En effet, une petite surprise arrive. Elle n’était pas bien grande, pas attendue tout de suite, mais la petite Eloise était là, dans leurs bras. La grossesse, découverte il y a quelques mois, avait précipité Benedict et Alice a préparé leur départ du pays. Ils n’attendaient pas à avoir d’enfant avant, au moins quatre ans ! Et pourtant, les trois tests de grosses étaient formels, la prise de sang était aussi et les nausées tout autant. La future maman aurait pu accoucher à Seattle, mais elle préféra le luxe des hôpitaux français et ainsi naquît Eloise, Scarlett Greenfield à Paris le XX/XX/2003.

Quelques mois après, le retour à la maison se fit pour tout le monde. Une chance pour les grands-parents du jeune homme qui ont eu le plaisir de rencontrer leur arrière-petite-fille. Une nouvelle vie de famille qui se lançait enfin, et même si Benedict aurait adoré avoir ses parents avec lui, il se sentait enfin dans une bulle familiale sans faille.
Professionnellement parlant, une fois de retour aux Etats-Unis, Benedict se lança en freelance dans la couture. Costume, mariage, collaboration avec la police ou encore les pompiers, il fit tout ce qu’on lui demandait de faire du moment que le projet lui semblait pertinent. Ça lui donnait l’occasion de bosser à la maison et, d’être présent pour sa fille. Car s’il ne devait avoir d’un membre de la famille de qualifié de workingboss, c’était Alice. Toujours plus carriériste que son époux, elle enchainait les voyages pour des collaborations dans diverses maisons de haute couture. Le luxe, c’était son grand dada. Et avec cet emploi du temps de dingue, la femme parvenait, comme toujours, à tout maitriser. Vie de famille, mariage, travail… rien n’était laissé au hasard… Enfin, sauf sa propre santé, peut-être. Toujours étai-il qu’à cet instant, la famille avait son petit équilibre, et tout roulait à merveilles.

Jusqu’en 2013. Eloise a dix ans, Benedict, trente-quatre quand ils apprennent tous les deux que Alice ne rentrera pas. Un accident, en sommes toute bête. La malheureuse avait été percutée par un vélo et malgré une vérification d’un médecin urgentiste, quelques heures après, une embolie pulmonaire lui vola son dernier souffle. Le plus horrible dans tout ça, c’est qu’il se souvient l’avoir au téléphone alors qu’elle était en plein Brooklyn, a raconter cette histoire qui n’aurait du être qu’une anecdote passablement intéressante… Et pourtant, la conclusion de sa vie arriva à son trente-quatrième chapitre.

Le reste, Benedict s’en souvient parfaitement, mais n’en parle jamais. L’enterrement, les larmes de sa fille, l’héritage… Et le décès de ses propres grands-parents, peu de temps après. Et encore une fois, les propres spectres de ses parents réapparaissaient. Il lui est arrivé une fois, une seule de penser à tout arrêter. Rejoindre ses parents, sa femme et ses grands-parents. Mais, il ne pouvait pas faire ça à Eloise. Elle ne pouvait et ne devait pas vivre ce que lui avait vécu. Ce vide, ce manque, cette terreur sombre qui ne voulait jamais le quitter.

Alors, en 2015, Benedict commença plusieurs thérapies. Avec un psychiatre, un psychologie et surtout, des groupes de paroles. Ce combat, il l’a toujours fait pour sa fille, et uniquement elle… Et avec le temps, il y trouva son compte. La vie, aussi triste puisse-t-elle être sans nos êtres aimés, vaut le coup d’avancer. Pour autant, des questionnements continuèrent à l’interroger. Dès la naissance d’Eloise, Benedict se demandait s’il allait être un bon père. Il n’avait que trop peu de souvenir du sien, sur quoi se baser pour en être un bon ? Le départ d’Alice n’avait fait qu’aggraver ses doutes et ses peurs. Mais, encore une fois ses thérapies lui ont fait du bien. Mieux encore, les groupes de paroles lui apportaient quelque chose qu’il n’espérait plus : des amis, une sorte de seconde famille.  Il songe souvent à Keziah, rencontrée il y a quelques années, lors d’une de ses soirées de parole. Une amitié, oui, mais presque de l’ordre de la paternité. Etrange, n’est-ce pas ? Pourtant, même si ils ne se voient pas beaucoup, la beauté de cette relation le touche beaucoup. Avoir des amis, c’est peut-être la plus belle chose après avoir été père.

Récemment, il a ouvert une boutique. Upcycle Me. Un projet à deux, dont Alice n’aurait été que la productrice, à défaut d’avoir été une actrice de cette histoire. Une petite boutique faisant officie de friperie, proposant aussi des pièces de couture. Beaucoup sont faites part Benedict lui-même —bien qu’il conserve son travail de couturier indépendant— mais pas uniquement. Certains de ses employés cousent eux même… Et c’est plus fort que lui, il ne peut s’empêcher de les prendre sous son aile, de les aider, les soutenir et rendre leur journée de travail toujours un peu plus folle et drôle. Ce projet est la vitrine même de ce qu’il y a de meilleur chez Benedict : du rire, de la couleur, du sérieux et un amour sincère pour la mode et la couture.

Aujourd’hui, il vit dans une grande et belle maison victorienne jaune. Une maison bien trop grande pour deux personnes, justifiant l’adoption de deux chats : Capucine et Pudding. Justifiant aussi le fait qu’Eloise invite toujours des amies de la fac à la maison. Dans cette grande demeure, le couturier possède son propre atelier de couture au premier étage, ainsi qu’un workroom pour ses clients. L’étage tout entier est dédié à sa seconde profession. Le second, aux chambres et les salles de vie sont, quant à elles, au rdc, donnant un accès direct à un magnifique jardin.

Côté vie personnelle, Benedict n’a pas eu l’occasion de vive grand-chose. Après Alice, deux petites amourettes qu’il a lui-même cessé, par peur de perdre… Perdre, mais quoi. Lui-même l’ignore. Mais ce qui était certain, ce qu’il a préféré se concentrer sur l’éducation d’Eloise, et sur ses projets professionnel —pour justement lui laisser un pécule important— que de vivre à nouveau une histoire d’amour. Pourtant, il y croit encore, à ces histoires d’amour. Même sa propre fille le pousse à rencontrer, à s’amuser. Bientôt complètement indépendante, elle aspire à ce que son paternel puisse enfin vivre pour lui, et non plus pour elle. Car s’il y a un bien une chose dont elle la jeune femme est consciente, c’est que son père a tout fait pour elle. Tout lui a été donné quand c’était mérité. Une éducation difficile pour comprendre l’importance du travail, de l’argent, des valeurs et de la morale. Tout n’a pas toujours été facile entre eux, mais rien ne pourra briser cette amour père-fille.