« Morning talk » † Keziah & Rowan (Method)

« Morning talk »

@Keziah D. Blackthorne & @Rowan Sano

Programme de la journée : petit talk dans une émission de radio locale. Le lieu d’enregistrement était dans le quartier de Fremont, et il s’agissait pour l’occasion d’une émission en présence de public. Il ne s’agissait pas d’une émission de promotion pour Satan’s Crucifix, sinon ce n’est clairement pas moi que l’on y aurait invitée, mais plutôt les jumeaux, néanmoins je savais qu’on me poserait quelques questions sur le groupe, et je m’y étais préparée. Il n’y avait pas de thème particulier, pas de promotion particulière, juste les grands classiques, mais avec des musiciens d’invités en plus, quoi. À priori avec la présence du public, il y aurait également une séance de dédicaces, ce qui m’emballait nettement moins que de parer de musique, mais comme disait quelqu’un que je connaissais bien, ça faisait également partie du job. Je m’étais préparée en conséquence pour cette matinée.

J’avais débarqué au studio radio un peu plus d’une bonne heure avant l’émission, comme convenu. Cheveux tressés aux tempes et boucles sauvages laissées dans mon dos, j’étais un peu trop facilement reconnaissable avec cette masse cuivrée, aussi j’avais opté pour enfiler un manteau noir en feutre avec une capuche pour protéger ma crinière de la vue de tous – ce  qui se prêtait plutôt bien au temps très mitigé de la journée. Dessous, un jean noir, un débardeur tout aussi noir et un blaser cintré bordeaux, une paire de DocMartens. Un style à la fois rock et doux. Une marque de fabrique de ma version artiste, lorsque je n’étais pas sur scène. À l’arrivée au studio, je fus accueillie et orientée vers une petite salle de réunion, afin de rencontrer les présentateurs de l’émission et l’autre invité du jour Je devais avouer que je ne m’étais pas tellement renseignée, rentrée il y a peu de temps de Phoenix et déjà la tête sur la prochaine date à venir. L’accueil se fit avec un fort classique café et quelques banalités d’une platitude notable de la part des présentateurs, néanmoins le job avait commencé au moment même du passage de la porte du studio, j’avais donc plaqué un sourire de façade sur mes lettres pour répondre avec le plus de décontraction possible. Lorsque de nouveaux bruits de pas se firent entendre au niveau de la porte, je tournai un regard par curiosité, afin de découvrir qui nous rejoignait.

« Morning talk »

@Keziah D. Blackthorne & @Rowan Sano

Comme toujours, il était assez facile pour moi de m’angoisser. Une interview pour une station de radio, ce n’était définitivement pas quelque chose qui m’arrivait tous les quatre matins. On m’avait demandé de venir pour discuter, profiter de l’instant pour répondre à des questions d’ordre général sur la musique, et de m’armer de mon violon ou de ma basse au cas où l’occasion d’une rapide démonstration se serait présentée. Pour des raisons de facilité, de praticité, je m’étais armée de mon violon de scène, un modèle relativement petit et compact, reconnaissable à sa couleur noire, baladé dans une boîte de transport qui ne m’avait pas quittée un instant. Il était préparé pour être directement branché sur matériel électronique de manière rapide, et prêt à l’usage.

J’étais arrivée un peu avant l’animation radio, histoire de rencontrer un peu l’équipe, essayant de me mettre à mon aise, ce qui n’était pas toujours facile pour moi. Après un café, quelques sucreries d’accueil comme du chocolat j’avais échangé quelques banalités affligeantes qui m’avaient permis de faire descendre en partie mon niveau d’anxiété, avant d’être invitée à quitter la salle de réunion et me rendre en studio de diffusion. Le temps d’enfiler le casque, un bruissement à la porte me fit savoir que le second invité venait d’arriver. Masque sur le visage, il entretenait le mystère sur son identité civile. Un vague sentiment me chuchota à l’oreille que j’aurais peut-être du faire pareil, qu’au moins j’aurais pu vivre dans l’ombre en dehors de la scène, mais je le chassais d’un revers de main cérébral. J’arrêtai de m’écouter réfléchir.

Quelques secondes encore et nous voilà à l’antenne. Le générique de l’émission se lança, le présentateur fit son petit speech d’introduction. Le musicien s’approcha, et si j’essayais de garder une expression la plus ouverte possible, mes yeux observaient avec une attention accrue le moindre de ses mouvements. Il se penchait, allait-il s’arrêter à une distance raisonnable ? Oui, il le faisait, et je me fendis d’un large sourire. La voix était douce, mélodieuse, et je hochai  légèrement la tête.

« Enchantée également, je crois qu’on n’a jamais eu l’occasion de se croiser ! »

Bien qu’affligeantes, ces banalités firent frémir le public, qui s’avérait très réactif. C’était souvent comme ça, en réalité. Le présentateur rit, puis entama plus sérieusement la conversation pour nous proposer  de nous présenter, et alors que j’avais fixé mon plus beau sourire professionnel sur mes lèvres, le second invité me proposa de commencer ce petit jeu.

« Tout d’abord merci pour l’invitation, je suis ravie d’être ici ! »

Phrase toute faite, peut-être, mais tellement attendue qu’il était impossible d’y échapper. Bon, et puis, ce n’était pas tout à fait un mensonge non plus. J’étais contente d’être venue, même si c’était toujours un stress pour moi de me retrouver en public.

« Je suis Keziah, je suis la bassiste et quand nécessaire violoniste du groupe Satan’S Crucifix depuis huit ans. »

Il n'y avait pas grand-chose de plus à dire, en réalité. J'étais assez facilement secrète sur moi, et pour parler du groupe, il aurait été plus avisé d'inviter l'un des jumeaux. Non pas que je ne veuille pas en parler, mais ce n'était pas moi, la tête pensante de ce bijou de musique. J'écoutai à la suite mon interlocuteur se présenter, et le présentateur reprendre sa conversation, présentant nos discographies respectives - dans mon cas, celle du groupe, car je n'avais jamais volé de mes propres ailes, et ça ne m'intéressait pas. Il me questionna à la suite sur ce que j'avais appris en premier, du violon ou de la basse, et mes inspirations musicales. Je souris avant de répondre, j'avais appris mon texte par cœur, comme une parfaite actrice, pour éviter de devoir y réfléchir sérieusement.

« J'ai appris le violon d'abord, depuis l'enfance ! Mais mon instrument favori reste la basse, que j'ai commencé à apprendre à l'adolescence en autodidacte grâce à des tutos, des vidéos, et quelques connaissances de solfège. Pour ce qui est des inspirations, elles sont assez éclectiques, mais autant de grands groupes du rock, que de la pop, en passant par un peu de classique pour le violon.  » 

« Morning talk »

@Keziah D. Blackthorne & @Rowan Sano

Les interviews n’étaient jamais chose facile, pour moi. Il fallait avouer que tout ce qui avait trait à croiser du monde revêtait un caractère singulièrement délicat à mes yeux. De mon passé, me restaient quelques traumatismes profondément ancrés, comme par exemple cette phobie du contact d’autrui, qui était directement corrélée avec mon mal-être en public. Pendant des années j’avais cherché comment rester dans l’ombre, mais avec la célébrité que connaissait maintenant Satan’s Crucifix, j’avais du travailler à vaincre mes réticences. Au moins me rendre dans un studio de radio ne me posait plus de souci, il y avait longtemps que j’avais fini de me battre contre cette peur irrationnelle que m’apportait de façon certaine la pénombre et l’exiguïté d’une pièce, autre séquelle laissée par mon passé. Au moins, certaines choses avaient avancé, et j’étais au moins capable de faire mon métier correctement, c’est-à-dire faire et parler de la musique.

Si l’artiste à mes côtés pour cette matinée de talk m’était inconnu, cela ne me posait pas outre mesure de souci. Pas même les potentielles petites controverses sur les sujets qu’il pouvait aborder. Car si je n’avais jamais eu l’occasion de rencontrer Method, j’avais déjà entendu parler de lui, et de sa musique, bien que je ne puisse pas prétendre être une spécialiste ou une fan. J’étais simplement curieuse de nature, et surtout curieuse de ce qu’il se passait à Seattle, et il était de notoriété publique que cet artiste vivait et évoluait lui aussi dans la cité d’émeraude, mon domicile depuis ma naissance, bien que je n’ai pas toujours su considérer la ville ainsi.

L’interview se passait bien, naturellement. Nous recevions tous les deux les même questions, ce qui n’avait rien de particulièrement original. Ma présentation fut rapide, sommaire, quand celle du second interrogé fit rire le public, et moi avec. Ce côté décalé qui se présentait était assez amusant. Moi qui étais d’une nature bien plus introvertie, mes réponses étaient plutôt scolaires et convenues, quand celle de Method étaient décomplexées et à des kilomètres du moindre sérieux. Puis le présentateur annonça nos palmarès respectifs, et j’eus un sourire et un « merci » envers le second musicien, lorsqu’il laissa échapper un compliment sur mon – notre, le groupe étant le véritable destinataire du commentaire selon mon avis, ce qui était normal et mérité – curriculum vitae.

Si je connaissais par cœur mon texte sur les instruments que je jouais – c’était bien plus simple ainsi, ne pas réfléchir, ne pas replonger dans le cauchemar qu’avait été d’apprendre le violon, ne pas devoir songer à nouveau que, si les jumeaux ne m’avaient pas rendu un peu de confiance en moi, cet instrument serait toujours enfermé à double tour dans sous mon lit, tel le monstre tourmentant le sommeil des enfants – la présentation de Method fut bien plus … Caustique, voilà qui était un mot qui pourrait peut-être convenir. Évidemment, le public rit, mais le public riait facilement, et je me contentais d’un sourire amusé, observant l’homme comme si je tentais de lire à travers son masque comme un livre ouvert. L’exercice était impossible, bien sûr, mais l’attitude me poussait à me questionner. Quand le monde entier ne me faisait pas frémir de peur, je devenais une jeune femme curieuse de mon univers, de comprendre la psyché. Mes nombreuses heures chez le thérapeute devaient avoir, elles aussi, déteint sur moi. J’en venais à me dire que j’étais une véritable éponge, absorbant la curiosité sur l’âme de mon thérapeute, et le fort caractère de mon groupe. Le fort caractère était encore difficile à détecter pour qui me rencontrait à peine, mais pour mes proches, ces gens que je considéraient comme ma famille, le changement ne manquait pas de visibilité, après ces dernières années.

Il y eut une pause rapide dans l’interview. Juste le temps de lancer une ou deux publicités, et deux extraits musicaux. Microphones coupés pour l’antenne, le présentateur nous proposa d’improviser un morceau tous les deux. Ils avaient du matériel sur place si nécessaire, et j’avais emmené mon violon, car cela arrivait parfois, souvent même. Il était prêt au branchement si nécessaire, néanmoins l’improvisation était un exercice parfois périlleux. Autant j’étais capable de cela avec le groupe, que je connaissais par cœur, autant il s’agissait parfois d’une chose bien plus délicate en ne connaissant par la personne avec laquelle j’évoluais. Ma réponse se fit hésitante, mais pour autant pas catégorique.

« Je ne sais pas, je ... » je me tournai vers le second musicien. « Qu’est-ce que vous … tu … en penses ? » Je n’étais déjà pas sûre de moi sur le vouvoiement ou le tutoiement, ça n’était donc pas une surprise que je ne sois pas loin de perdre mes moyens. « S’il le faut j’ai mon violon, je peux improviser sur une rythmique que vous … tu … donnes ? » C’était ce qui me paraissait le plus simple. Le violon était un instrument merveilleux pour accompagner et suivre autrui sur un thème musical, en accentuant et tenant juste quelques notes pour sublimer l’instant. Il se prêtait même très bien à ce jeu. « Ou on peut essayer une mélodie connue ? » Je n’étais bien sûr toujours pas plus sûre de moi, mais soit. « Ou rien, je ne sais pas. »

Je n’étais clairement pas du genre décideuse. Wolf était le décisionnaire du groupe, et même si donner mon avis n’était pas un problème, je n’avais jamais besoin de trancher, ce qui me convenait parfaitement. Pour autant, les quelques invités présents dans le studio avaient entendu la question, comme tout ce qu'il se passait pendant et hors de l'antenne, et ils frémissaient visiblement d'impatience d'entendre la réponse à cette question posée par le présentateur. Dans l'attente d'une réponse, relancer une publicité ou un extrait musical n'était pas difficile, c'était au moins le point positif du direct, de pouvoir moduler l'instant à volonté.