I'm going under and this time I fear there's no one to save me - River

Trigger warning: Décès de parent (suicide), dépression, prise de médicaments, évocation de surdose, relations toxiques, homophobie internalisée

Il passa les grilles alors que le soir était tombé depuis un moment. En vérité, il venait si tard pour être tranquille en prenant le chien. Pas le meilleur but de promenade, mais bon… Il le gardait en laisse en parcourant les allées, jusqu’à trouver la pierre qu’il cherchait. Il avait mis du temps avant de venir ici… C’était désormais une habitude, plus ou moins fréquente. Comme un peu tout dans sa vie. Il arriva devant la pierre tombale et sourit un peu.

“Salut Papa. Couche toi Orion, on est là pour un moment.”

Il attrapa les fleurs fanées qui étaient dans le vase et haussa un sourcil en voyant une jonquille, assez fraiche. Il lutta contre l’envie de la jeter et ajouta les tournesols qu’il avait achetés sur le chemin.

“Il est encore venu hein… Je sais pas ce que je dois en penser… Mais j’espère que ça te fait plaisir de le voir… J’ai pas cette chance moi… Apparemment, il préfère attendre qu’on soit morts…”

Il se mit a gratter un peu de mousse sur le coté en soupirant.

“Désolé, je suis pas là pour parler mal de lui… Mais ça fait mal de parler à une pierre sous laquelle t’es depuis 20 ans à cause de lui et que la seule preuve qu’il t’ait pas rejoint, c’est cette putain de fleur…”

Il finit par s’asseoir près du chien en continuant de discuter avec la pierre comme si l'homme était assis dessus. Il lui avait fallu des années pour visualiser de nouveau son père comme il l’avait connu et pas comme il l’avait découvert au jour de sa mort. Livide et exsangue dans la baignoire, l’eau rougie. Il n’avait pas fait la bêtise de s’avancer. Il avait reculé et fermer la porte, se laissant glisser contre en refermant ses bras autour de lui. Il ne savait pas combien de temps il était resté là, prostré. Il avait repris vie quand sa mère était rentrée et qu’il avait hurlé pour ne pas qu’elle rentre… Elle n’avait pas écouté, évidemment.

Ce jour marqua le basculement de son existence. S’il avait su que la dispute de la semaine précédente était directement liée à ça… Depuis aussi loin qu’il se rappelait, il y avait toujours eu son “oncle” qui était très souvent à la maison. Il était là, il partageait les moments de la vie de la famille… Il avait parfois entendu des éclats de voix entre son père et l'autre homme, mais rien de notable spécifiquement. Ce qui l’était beaucoup plus, c’était qu’ils étaient proches. Physiquement. Parfois même dans le canapé pour regarder un film. Et quand il allait se coucher ensuite et qu’il réclamait une histoire à un des deux, il se retrouvait souvent à se faire emmener par sa maman qui lui disait de les laisser tranquille. Il n’avait jamais posé trop de questions, parce qu’il n’avait manqué de rien et que sa curiosité portait ailleurs. Il avait globalement compris qu’il y avait quelque chose de caché, surtout quand sa mère lui disait de ne pas parler de son tonton… Ce n’est que plusieurs années après le suicide qu'elle lui expliqua la réalité des choses. Elle était sa meilleure amie depuis l’enfance et son oncle… Le compagnon de son paternel. Sa naissance avait toujours été un point de discorde entre eux mais il avait été sincèrement voulu par le premier, raison pour laquelle il était là, malgré les réticences de son amour… Il n’avait jamais vécu sa véritable histoire d’amour au grand jour parce que l’autre n’avait jamais voulu et un beau jour, il l’avait simplement abandonné. Sa mère avait essayé de le réconforter, de lui dire que les choses allaient s’arranger, qu’il allait revenir et qu’elle était encore là, elle. Pourtant, ça n’avait pas suffit et le désespoir l’avait emporté. Il apprit aussi que son géniteur avait une santé mentale relativement fragile et il semblait en avoir hériter.

Il fut suivi dès le drame et on lui donna ses premiers médicaments qu’il avait 8 ans. Des anti anxiolytiques, des somnifères puis des anti dépresseurs… Ca a commencé avec des tisanes et des huiles de bain pour finir par de vrais médicaments. A 10 ans, il était dans un autre monde, littéralement… Il voyait le psy une fois par semaine, mais il n’avait plus trop le “loisir” de ressentir tout ce que ça lui inspirait. En fait, ils travaillaient principalement sur sa relation aux autres et sur son hématophobie. La vue du sang le tétanisait. Pas tant sur lui, même si au début, c’était le cas et il fallu une bonne année pour que ça se calme, mais sur les autres… Il ne s’en est toujours pas réellement débarrasser aujourd’hui. Sa mère lui avoua toute l’histoire liée au décès de son père quand il avait environ 13 ans… Elle avait trop bu ce soir là et c’était sorti tout seul. Elle essayait de tenir le coup depuis toutes ces années et elle ne l’a jamais laissé tomber, mais la disparition de son meilleur ami l’a vraiment abattue et ce fut une grande lutte pour elle aussi. Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’elle avait jeté une sorte de malédiction sur son fils en lui avouant tout ça. River avait eu quelques ressentis et attirances envers la gente masculine et quand il su tout ça… ça monta un mur entre lui et ses sentiments. On est pas très malin à 13 ans et il associa l’amour entre hommes à la souffrance…

Il commença aussi à parler de ça au psy et même à jouer avec ses doses de médicaments. Il se redécouvrit, différent et pourtant très semblable. Un peu effrayé aussi, vu qu’il n’avait plus côtoyé son esprit à pleine vitesse depuis des années. Il ne comprenait pas comment son père avait pu se suicider “par amour”, en les abandonnant, mais il finit par expérimenter lui même ces sentiments, plus fort que soi… Malgré la peur et les traumatismes, il trouva même le chemin vers les garçons… Comme quoi, on ne pouvait pas renier ce qu’on était au fond et la force que ça pouvait soulever… En grandissant, il connut l’amour mais on ne peut pas dire que ça lui à toujours réussi… Il arriva à maintenir les résultats scolaires au minimum vital pour passer ses années sans se faire inquiéter, mais à jouer le petit pharmacien, il testa d’autres substances, qui n’aidèrent pas son état à s’améliorer non plus. Toujours profondément dépressif, il aurait pu commencer à cocher le bingo des mauvaises idées toxiques à ne pas tester en relation…

Ne voulant pas blesser sa mère, qui malgré sa propre galère, avait toujours essayé de l’aider et d’avancer avec lui, il trouva rapidement un travail après l’obtention de son diplôme et emménagea dans son propre studio. De petits boulots en galères diverses, il finit par devenir strip-teaser et s’il avait un peu honte au début, il le vit plutôt bien maintenant. Il prit un second emploi de journée et déménagea de nouveau pour aller vivre dans le centre ville. Son nouveau rythme de vie entraina d’autres soucis, entre ses moments de déconnexion totale à cause des médicaments et les deux travails combinés, il ne mangeait carrément pas certains jours… Déjà que c’était pas facile de tout gérer, malgré ses essais et la mise en place de stratagèmes pour lutter contre ses vieux démons, il se retrouva dans une situation assez critique. La solution s’avéra étrange mais efficace, il adopta un berger australien, Orion, afin de se forcer à avoir un rythme de vie qui ne dépendait pas que de lui. Il apprit au chien à reconnaître les situations de crises de son maître et bien heureusement, car le chien se retrouva à lui sauver la vie lors d’un dérapage médicamenteux. Un oubli et une double prise et sa respiration qui ralentissait… Le chien lui fit des bleus qu’il garda une semaine, mais il arriva suffisamment à reprendre conscience pour se trainer aux toilettes et vomir. Il n’en est pas très fier, mais il se sent plus en sécurité maintenant qu’il a le chien. Il ne vit pas une vie de rêve, mais il essaye d’avancer avec ceux qui l’entoure.

“Ouais et donc… Merde, Vic m’attend pour aller manger avant le taf! A la prochaine Papa, je t’aime!”

Il se leva et partit en courant, le chien le suivant aussi vite. Comme quoi, la notion du temps qui passait, c’était quelque chose de relatif pour lui, comme l’eau qui s’écoule dans la rivière, il ne reculait jamais, malgré les cailloux sur sa route.