June Jones - Qui a peur du Grand Méchant Loup?

“June Arthur Jones.”

“Moon Kim.”

“Ne commence pas.”

“Ne m’appelle pas à 3h du matin.”

“Il n’est pas 3h du matin à New York.”

June se laisse retomber contre le dossier de sa chaise de bureau. Argument implacable de Moon -non pas Kim, mais bien Jones. Sa chère mère savait parfaitement qu’en appelant son fils, vivant à Paris, il serait tout de même réveillé. Moon était aussi au courant que même s’il dormait, il aurait répondu au téléphone. “Tu confirmes que c’est un Kim de chez nous, donc? Parce que ça ne manque pas de Kim, en Corée.” June ouvre le dossier sur son bureau à nouveau, l’instagram d’Ember ouvert sur l’écran de son ordinateur. La photo récente avec un Shin Kim qui avait fait lever quelques sourcils. “C’est un Kim à nous, oui. Fils de Chin-Du.” Il entend sa mère grogner au téléphone. Elle a une horreure sainte pour les membres de sa famille, après tout. Elle a fui en volant de l’argent, à 16 ans, pour débarquer à New York et tout reconstruire, après tout. Elle y a rencontré Arthur Jones, jeune héritier d’un Palace unique dans la Grande Pomme, après tout. Et elle l’a épousé, lui a fait des enfants mais surtout, l’a aidé à développer le business familiale, grandit en un empire hôtelier de Luxe à faire pâlir d’envie plus d’un compétiteur. Tout cela loin de la volonté des Kim pour elle, de simplement se marier et se taire.
“Est-ce que December est au courant?” La question le fait soupirer. “Non.” Il passe une main dans ses boucles ébènes, loin du blond lisse et plaqué de son petit frère. “J’ai prévenu Minho, mais il semblerait que c’est un pur hasard.” Il entend un soupir, il sait qu’elle en doute grandement. Pour Moon, c’est certain, ce Shin Kim est un espion, il est là pour profiter de la faiblesse et de la belle âme d’Ember, il ne peut pas y avoir d’autres raisons. Lui n’est pas certain.

“June.”

“Je sais, je sais… je m’en occupe.”

Comme d’habitude. Pas la première fois et pas la dernière fois qu’il devrait “s’en occuper”. Alors il raccroche, et il continue de taper sur son clavier pour le reste de la nuit. Ne fais pas se déplacer June Jones qui veut, mais December Jones avait ce pouvoir. Un pouvoir qu’il ne voulait pas, d’ailleurs, et il ne doutait pas une seconde que son cadet allait détester le savoir dans cette ville qu’il avait choisi comme échappatoire. Au moins, ils seraient tous deux en accord sur le fait que c’était pas plus mal comme ça. Lui, à vivre la vie qu’il souhaite à Paris et le petit prince, à jouer au pauvre dans l’Ouest Américain.

“Je pars à Seattle.”

Arthur Jones leva la tête de son journal avec un arrière goût de déjà vu. Son fils héritier était entré dans le bureau d’un pas assuré.

“Tu… Quoi?”

June ne ressemblait en rien à son petit frère. Il n’était pas du tout le genre à prendre des décisions hâtives, comme celle de fuir à Seattle sans raison.
"Ça ne m’enchante pas plus que ça.” June trouva important de le préciser. “Mais Mère est à deux doigts de soulever une armée pour le rapatrier. J’ai dû, comme d’habitude, trouver une solution.”

Le brun soupira, bien décidé à faire comprendre à son père qu’il n’était pas ravi, non. Mais pour beaucoup de raisons, ce déménagement à Seattle, il l’avait vu venir. Il l’avait vu venir au moment où Ember avait disparu en Décembre dernier.

Les premières années de sa vie s'étaient écoulées exactement comme on imaginerait celles du premier né de riche famille. Un cliché, et pourtant un cliché réel pour lui.
Né un 6 Juin, son prénom est tout trouvé: June, pour Juin.  En grandissant, il se montre précoce, surdoué, de quoi ravir ses parents. Enfin, le Noël de sa cinquième année, un petit frère. Les quatre années suivantes, June ne s’en plaignait pas non plus.
Il restait le premier né, il restait celui qui allait au bureau avec Père, et qui reprendrait le flambeau un jour. On continuait de le former, de lui apprendre les langues étrangères, les instruments de musique et autres talents pour briller en société. Mais bien que ses parents fassent tout pour montrer à June qu’il n’était pas délaissé, le plus âgé n’était pas dupe. Il voyait bien comment les autres se comportaient autour de December Ange Jones. Ember, ce bébé parfait. Ce sourire solaire qu’il sut donner très jeune. Ce comportement un peu espiègle, qui déjà à l’âge de 3 ans, charmait les mamans et leurs enfants.

June était intelligent et franchement un bel enfant lui-même, mais il n’était pas… Il n’était pas Ember. Il n’était pas doux, léger, rieur.

D’ailleurs, Laura, la nourrice qui s’occupait de son frère, l’avait bien réalisé. Elle laissait l’aîné vivre sa vie, se contentant de lui servir son repas à l’heure et de s’assurer qu’il faisait ses devoirs. Elle savait, (et elle avait raison), que June ne l’aimait pas et ne la suivrait nulle part. Peut-être était-ce parce que lui avait grandi autour de ses parents, contrairement au cadet. Ember, un accident pour des parents très occupés, avait surtout grandi avec sa nourrice... Il l’aimait tellement, presque au point de l’adulation. Jusqu’à ce fameux soir. Un mois et quelques après l’anniversaire des 10 ans de June, Ember qui avait encore 4 ans à l’époque, ne revint pas de sa sortie à Central Park avec la jeune femme.

June se souvenait de regarder par la fenêtre de sa chambre qui donnait sur le chemin du portail. Une heure. Deux heures… Il avait attrapé le téléphone fixe de l’entrée pour appeler sa mère. Les adultes étaient arrivés, la police aussi… On lui avait posé quelques questions puis demandé de rester dans sa chambre. June n’avait pas pu. Il comprenait très bien ce qu’il se passait. Est-ce que son frère allait lui revenir un jour? Il s’était glissé dans un couloir, se cachant dans un coin pour écouter à la porte. “On fait tout notre possible Madame Jones. Restons en contact.” Et puis, son père était sorti, téléphone à l’oreille. “Faites tourner l’information. Oui, 2 millions à qui les retrouve. Je me fous bien de savoir qui et comment. Ramenez-les, morts ou vifs. Mais ne faites rien devant December.” Arthur Jones avait posé les yeux sur son fils aîné alors qu’il terminait sa phrase, et fit signe de se taire. June aurait à régler ce genre de choses un jour, pourquoi pas commencer à les entendre dès maintenant?

Finalement, Ember fut retrouvé par la Police et non par un partenaire de son père. Trois jours plus tard. June se souvenait d’avoir attendu que tout le monde se couche enfin avant d’aller à la chambre de son petit frère revenu de l’hôpital encore quelques jours après. Il avait trouvé le plus jeune assis à sa fenêtre, et sans grande surprise, le petit garçon avait souri à son aîné en ouvrant ses bras. C’était June qui avait pleuré ce soir-là. December, jamais. Pourquoi? Comment? C’était un bébé, un tout petit être de 4 ans et 7 mois, qui venait de se faire trahir par une personne qu’il aimait profondément! Mais tout ce qui importait à Ember ce soir-là, ça avait été de rassurer un grand frère terrifié qui après cette nuit d’été ne pleura plus jamais devant qui que ce soit.

A la suite de l’enlèvement, leur vie à tous les deux changea drastiquement. Déjà, bien sûr, quand sa mère décida que Ember devait prendre des cours de boxe et de self-défense, June dut aussi commencer. Pourtant, même ça, il le faisait moins bien que le plus jeune. Plus tard, à l’adolescence, l’aîné avait abandonné en estimant les bases suffisantes. Il préféra se laisser accompagner d’un garde du corps où qu’il aille afin de rassurer sa mère.
Le plus gros changement eut lieu quelques mois après l’enlèvement. Il y avait eu cette réunion dans le bureau de son père, pour lui expliquer que December avait “besoin d’être gardé en sécurité”. Il apprendra plus tard que l’enlèvement de Laura a donné des idées à d’autres personnes malveillantes, expliquant ainsi comment les Jones en arrivèrent à décider de séquestrer le plus jeune à domicile.

Rapidement, ce ne fut plus le problème de June. Il commençait déjà le collège après tout, puis le lycée, un diplôme obtenu à 14 ans, avant d’aller découvrir la finance et le business à Columbia. Les études de June n’ont pas grand chose d’intéressant (si on oublie son très jeune âge). Il se levait, allait en cours, rentrait, partait à l’équitation, faisait ses devoirs, révisait le violon, et allait se coucher. Et on recommence. Le tout jusqu’à ses 18 ans. Pas tellement d’intéraction sociale autre que les galas de charité, pas d'intérêt pour le sexe opposé ou non, juste envie de prouver. Prouver qu’il reste le fils héritier, qu’il est parfait, qu’il peut tout faire, même sans avoir atteint la majorité. Majorité qu’il fêtera à Paris, puisqu’il est alors décidé qu’il va y développer le business familiale en Europe. Un premier Palace en France, puis à Londres, puis à Rome, puis… Il ne s’arrête plus, gagne le respect de ses employés mais ouvre aussi de nouvelles portes à des “partenaires” particuliers. Il faut dire que dans l’ultra Luxe, les demandes les plus folles lui sont envoyées par des milliardaires sans limites. Et pour les fournir, il faut savoir se mettre les bonnes personnes dans la poche. Pratique alors de parler Italien, Russe ou encore Chinois et Japonais, hm? June ne quittera plus l’Europe, sauf pour rentrer à New York où aller ouvrir des hôtels en Asie, mais sa base restera la ville Lumière de Paris. C’est aussi là-bas qu’il s’ouvre aux plaisirs charnels, bien que les demoiselles qu’il enchaîne ne soient généralement pas au courant de qui a bien pu partager leur lit cette nuit-là.
June aurait aimé continuer comme ça, ça fonctionnait bien, il venait même d’être nommé dans la liste de Forbes 2023 des “30s under 30s”, pourquoi changer un plan qui fonctionne? Pour December Jones, bien évidemment.

“Et du coup, tu irais pour quoi? Juste le surveiller? Tu te doutes qu’il va t’éviter comme la peste?”
Arthur plia son journal en posant ses questions. Il le savait, son fils avait un plan en tête. June avait toujours un plan en tête. Le patriarche le laisse gérer le pôle Européen pour cette même raison.

“On a une bonne possibilité de business sur place.”
“A Seattle? Un Palace Jones à Seattle?”
“Non, une sous catégorie. J’ai discuté avec …des potentiels intéressés.” June s’était arrêté car une employée de maison venait d’entrer pour servir le thé.

Des intéressés? Arthur se laissa aller un peu en arrière dans son siège. Un gang, à n’en pas douter, et à ne pas prendre à la légère, mais une vraie possibilité, en effet. Encore une fois, son fils l'impressionne d’ingéniosité. Un business à développer et une bonne raison d’aller remettre Ember sur le droit chemin... Car les derniers rapports ne plaisaient pas à Moon Jones.

“Je pars dans une semaine.” June annonça simplement, quittant la pièce pour retourner à ses préparations. Il reprenait de plus en plus la tête des opérations mais pour le moment son père restait le chef de famille, alors en attendant, autant utiliser son temps de manière productive, en vue du jour où il serait en charge, enfin.