jay - walk through the fire

Parfois, il se dit que son petit frère a de la chance d'avoir été aussi jeune au moment de l'accident, de la chance de très probablement se souvenir de rien. Pourquoi de la chance ? Parce que ça lui évite sans doute d'en faire des cauchemars, même plus de 20 ans plus tard, ça lui évite justement d'essayer de ne pas oublier les quelques souvenirs de ses parents biologiques. Car pour Jay, c'est bien le cas. Si aujourd'hui, ça va beaucoup mieux, les cauchemars étaient récurrents presque chaque nuit, pendant les premiers mois, voire années qui ont suivi le tragique décès de ses parents. Ajoutez à cela le fait de se retrouver brutalement séparé de ce petit frère qu'il a à peine eu le temps de connaître, ajoutez à cela le fait d'être brutalement arraché à son environnement, à tout ce qu'il a jamais connu...ça fait un mélange pas très bon.

Il a d'abord été placé dans un foyer, en attendant que d'éventuels membres de la famille ou même des amis se manifestent. Mais personne ne vint jamais. Ce foyer, Jay n'a jamais voulu en faire sa maison, il n'a jamais voulu s'attacher aux autres enfants ni au personnel non seulement par peur de souffrir à nouveau s'il les perdait, eux aussi, mais aussi parce qu'il ne voulait tout simplement pas accepter ce qui s'était passé et qu'il était convaincu qu'il ne resterait pas longtemps, que ses parents ou même un oncle ou une tante franchiraient la porte du foyer pour les emmener, lui et son frère. Mais personne ne vint jamais. Jay resta dans son coin presque tout le temps, préférant la compagnie des livres que celle des autres. Il n'avait pas envie de parler de ce qui s'était passé ni de ce qu'il ressentait, alors pourquoi l'obligea-t-on à voir un psy ? Plus tard, il comprendra, évidemment. Mais le gamin qu'il était n'avait pas envie de raconter sa vie et de parler de ses sentiments à un parfait inconnu.

Près d'un an après avoir intégré le foyer, un couple d'inconnus décida de l'adopter. Sauf que, bien qu'ils aient l'air coréen, ils vivaient aux Etats-Unis et c'est là qu'ils emmenèrent Jay, sans même lui demander son avis. En plus d'avoir tout perdu, il allait à présent devoir s'habituer à un nouveau pays, une nouvelle culture, apprendre une nouvelle langue et ça, ce ne fut pas une mince affaire. Au début, il ne voulait rien savoir, il se rebella, fut même ignoble avec ses parents adoptifs, convaincu que, de toute façon, ils allaient le renvoyer au foyer tôt ou tard. Il avait clairement peur de l'abandon. Mais ses parents adoptifs lui prouvèrent encore et encore qu'ils ne le laisseraient pas tomber et peu à peu, Jay commença à s'ouvrir davantage à eux et à se montrer plus gentil à leur égard. S'adapter à cette nouvelle vie fut difficile, compliqué, mais Jay finit par y arriver. Il finit par trouver sa place, même s'il lui aura fallu du temps, même s'il lui aura fallu affronter les moqueries de certains de ses camarades lorsqu'il ne parlait pas encore anglais couramment et qu'il avait un horrible accent. Mais tout ça, c'est du passé. Il s'est parfaitement adapté à la vie à Seattle, même si, parfois, il aimerait retourner en Corée du Sud, retrouver ses racines. Un jour, peut-être.

Enfant, il adorait jouer avec de petits camions de pompier ou se prendre pour un pompier qui éteignait des feux imaginaires dans le jardin. Il disait toujours fièrement à tout le monde que lorsqu'il serait grand, il serait pompier et il sauverait des vies. Si beaucoup d'enfants changent d'avis et de direction en grandissant, ce ne fut pas le cas de Jay. Alors, lorsqu'il annonça à ses parents qu'il voulait se lancer dans la formation en question, ils ne le prirent d'abord pas au sérieux et tentèrent même de l'en dissuader à cause du risque évident que présentait ce métier, à cause du danger auquel il serait exposé au quotidien. Mais Jay n'en démordit pas et finit par s'inscrire sans l'accord de ses parents. Il était majeur à ce moment-là, ils ne pouvaient donc rien faire. Cela avait provoqué un certain froid entre eux pendant quelques semaines, mais heureusement, tout rentra dans l'ordre. Jay put d'ailleurs lire la fierté sur le visage de ses parents lorsqu'il fut assermenté. Ce métier, c'est sa passion et il est plutôt doué. Il s'entend bien avec ses collègues et l'ambiance à la caserne est bon enfant, la plupart du temps. Il faut bien ça pour tenter d'oublier les horreurs dont ils sont parfois témoins sur le terrain et pour ne pas péter un plomb, tout simplement.

Sa petite soeur est venue au monde deux ans après son adoption. Ses parents ne l'attendaient et ne l'espéraient plus et pourtant, elle était là. Petit bout de chou que Jay se jura aussitôt de protéger et de chérir - peut-être un peu pour compenser le fait de ne pas avoir su le faire pour son petit frère. Certes, ce n'est pas sa soeur biologique, mais il l'aime plus que tout, c'est sa petite princesse. Ils ont une différence d'âge assez importante, mais ça n'a jamais empiété sur leur lien, un lien fusionnel, bien que - comme tout frère et soeur qui se respectent - ils se chamaillent aussi pas mal.

Cependant, aujourd'hui encore, il pense à ce petit frère qui est là, quelque part, et qu'il n'a jamais eu la chance de connaître ni de voir grandir. Qu'est-il devenu ? Où est-il ? Des questions qui l'ont travaillé pendant de trop longues années. Il a finalement décidé de réellement débuter les recherches et est donc entré en contact avec le foyer qui les avait accueillis tous les deux. A présent, il sait que son frère se trouve, lui aussi, sur le sol américain et il compte bien le retrouver, en espérant ne pas se faire envoyer balader.