Miroir mon beau miroir, surtout.. ne dit rien > Karlon

Ton cœur se serre à la simple pensée du Coyote Ugly qui te traverse. Parce que c'est là que t'as l'habitude d'aller quand t'es pas au Witness. Enfin, que t'avais l'habitude d'aller. Mais tu n'y es pas retourné une seule fois depuis parce que tu sais que tu pourras pas faire face. Face à ce que t'as perdu. Face à cet amour encore bien trop présent et ancré au fond de ton cœur. Tu ne pourras pas sourire et faire comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Et puis t'as pas envie de prendre le risque de la perturber dans son boulot. Ça te plaisait de sentir que tu la perturbais avant, parce que c'était différent. Maintenant ça ne serait qu'un douloureux rappel de ce que vous ne pouvez plus partager. T'as pas le droit. C'est plus loin que tu vas, dans un bar où t'as moins l'habitude d'aller. Te disant qu'au moins les piliers de bar du Targy ne te reconnaitront pas. Tu viens poser ton cul sur un des tabourets du bar. Chemise pendante et ouverte sur un débardeur. Une petite mine que t'arbores constamment depuis ta rupture et qui te vaut souvent des remarques du style "ooh t'as pas assez dormi toi" "t'es fatigué non ?" de vrais Sherlock. Comme si tu voyais pas ta gueule dans le miroir le matin. Tu fais de ton mieux pour le cacher quand tu bosses mais tu bosses pas beaucoup dernièrement, laissant ta seconde prendre la main. "Un whisky double s'il vous plait" tu n'en perds pas non plus tes politesses. Gravées dans ton ADN. T'as essayé de rester digne. T'as fait de ton mieux pour réagir de la façon la plus mature possible et ensuite pour encaisser. On peut dire que cette dernière tentative est un échec. On pourrait croire que le premier jour après la rupture aurait été le plus dur, et il a été dur en effet, mais non. C'est de pire en pire chaque jour. Parce que t'arrête pas de penser au fait que vous vous aimez encore. Que vous pourriez vous remettre ensemble. Sauf que les raisons de la rupture sont impossibles à contrer. Si le problème était différent tu pourrais simplement faire une concession, accepter de prendre son parti pour que vous puissiez continuer. Mais c'est justement cette attitude qui fait que vous n'êtes plus ensemble. Tu te serais marié putain.. tu serais même devenu père pour elle. Tu l'aimes. Tu renifles en essuyant une larme qui t'échappe malgré toi et tu t'enfiles le verre d'une traite. Tu tousses parce que putain t'y es allé fort et ça te crame la trachée. Mais t'en avais besoin. Enfin non pas du tout, mais t'as l'impression que si. Tu bois pas mal en ce moment, dans l'espoir de noyer un peu tes sentiments. Ou plutôt tes neurones pour leur empêcher de trop réfléchir. La soirée avance, tu sais plus trop combien de verres t'as bu. T'y as été plus mollo sur les suivants mais aucun doute sur le fait que t'es plus sobre depuis un moment. Pourtant t'es pas en train de chanter la lambada comme si t'étais complètement arraché et tes pensées ne se taisent toujours pas. Tu sais que t'es alcoolisé mais t'as l'impression de ne pas l'être. C'est pour ça que, le cul vissé à ce tabouret, tu commandes un nouveau verre.

Miroir mon beau miroir, surtout.. ne dit rien

8 SEPTEMBRE 2024 | La tête au-dessus du lavabo, il se regarde dans le miroir des toilettes du Targy’s. Un tas de personnes doit déjà être passé par là vu la non- propreté du lieu mais ce n’est qu’un détail pour Marlon, ça ne l’a pas empêché de vomir ses tripes dans l’une des chiottes. Il ne l’a pas rendue plus sale qu’elle ne l’était déjà mais il a répandu une odeur plutôt désagréable, voire putride, dans la pièce sans le vouloir. Cela dit, c’est peut-être mieux ça qu’une odeur de… bref, il ne faut pas qu’il y pense s’il veut éviter d’entrer dans un second round de vomissements.

Ouvrant le robinet d’eau froide, il s’en balance sur le visage avec l’espoir que ça lui permettre de retrouver une contenance, lui remette un peu les idées en place. « T’as une sale gueule, mon pote. Courage. » Il se fait tapoter l’épaule par un inconnu qui se veut sûrement réconfortant mais sa remarque est loin de l’être. Il a juste envie de lui encastrer la tronche dans le miroir. Heureusement pour lui, il s’enfuit avant que ça n’arrive.

Il n’aurait pas dû passer par la rue de la caserne pour venir ici, il n’aurait pas dû tourner la tête vers cette dernière juste comme ça, parce qu’il était clair qu’il tomberait sur Vega. Ce dernier ne l’a pas vu et ça s’explique très bien. Il était au téléphone, un large sourire aux lèvres, alors pas difficile de deviner qui était à l’autre bout.

Il avait juste pour but de boire un verre, un petit, pour tenter de commencer à réduire sa consommation, de se relever petit à petit, sauf que… cet événement lui a fait remettre cette bonne résolution à plus tard. Ça ne sera pas pour aujourd’hui, pas pour demain non plus. Il ne sait pas quand, mais c’est encore trop frais alors que les nombreuses discussions et visites de Bee lui avaient donnés l’impression qu’il allait mieux. Qu’il était doucement en train d’encaisser, de digérer. Faire son deuil de cette relation. Mais non.

Marlon pousse la porte après s’être lavé les mains et rincé la bouche, son regard hésitant entre le bar et la porte. La raison voudrait qu’il s’en aille maintenant, qu’il rentre et qu’il appelle la petite abeille mais… il emmerde la raison, ses pas le menant jusqu’à la place qu’il occupait juste avant. Un nouvel arrivant a fait son apparition près du comptoir et il ne l’a jamais vu ici alors que c’est presque devenu sa seconde maison. Il a plus souvent le cul posé sur ces tabourets que dans son propre canapé.

Il ne peut s’empêcher de le regarder, de le dérailler et un élan d’empathie le prend, parce que cette douleur là, quand on la ressent, on peut la reconnaître facilement chez quelqu’un d’autre. Il se revoit la toute première fois, face à Billie, qui lui expliquait qu’elle était capable de ressentir sa tristesse parce qu’elle avait la même. « Tu pourras en boire autant que tu veux, aucun de ces verres ne suffira pour anesthésier ce que tu ressens. » Il sait de quoi il parle, ça fait des semaines qu’il boit pour oublier, pour avancer. Qu’il enchaine les verres, mélange les différents alcools jusqu’à trouver la potion magique mais elle ne semble pas exister.

(c) Niagara ; ft. @Kai S. Turner

La notion du temps t'échappe, tu ne sais pas trop depuis combien de temps t'es là. Est-ce que ça fait plus d'une heure ? Est-ce que ça ne fait même pas une demi-heure mais que t'as enchainé les verres plus vite que tu ne l'aurais cru ? T'en sais rien. Y'a tellement de choses qu'il se passe dans ta tête que t'as l'impression d'être assis la depuis plusieurs heures mais y'a peu de chances pour que ça soit le cas. Les pensées ne veulent pas cesser. Elles tournent en boucle dans ta tête juste pour s'assurer de bien t'émietter le cœur encore et encore. T'as envie de la revoir. De lui sauter dessus, de la prendre dans tes bras et dans tes draps. De juste profiter d'un instant avec elle sans promesses sans rien. Juste à consumer la passion et l'amour que vous avez encore l'un pour l'autre. T'en crèves d'envie. Mais tu sais que ça ne pourra pas être sans conséquences derrière... Et putain t'en as tellement marre de réfléchir, tout le temps, à ces putains de conséquences.. mais t'as pas envie d'être égoïste, pas avec elle... ça te ferait bien trop souffrir de la faire souffrir, et ça juste pour un plaisir éphémère. T'as l'impression d'avoir un petit ange et un petit diable sur tes épaules qui combattent. « Tu pourras en boire autant que tu veux, aucun de ces verres ne suffira pour anesthésier ce que tu ressens. » cette remarque t'es adressée, de toute évidence. Tu tournes la tête pour voir qui te parle. Un très bel homme qui pourtant n'a pas l'air beaucoup plus frais que toi. Tout seul au bar, est-ce qu'il est là pour les mêmes raisons que toi ? En tout cas ça sent le vécu. S'il n'est pas en peine de cœur, il l'a de toute évidence déjà été. Et toi aussi, t'es déjà passé par là, mais tu ne te rappelles plus comment t'as géré ça à l'époque. Tu te rappelles juste avoir été très mal. "Alors qu'est ce qui fonctionne ? Qu'est-ce qu'il faut faire pour avoir droit à un peu de répit... ?" une pause au moins. Tu sais que tu ne pourras pas guérir ça du jour au lendemain mais t'en peux plus, ça t'épuise d'en souffrir h24. Même quand tu fais autre chose t'as l'impression de ne faire que semblant.

Miroir mon beau miroir, surtout.. ne dit rien

C’est rare que Marlon se mette à discuter avec quelqu’un qu’il ne connaît pas quand il est dans cette disposition, que l’alcool a remplacé le sang dans ses veines, que sa toxicité contrôle ses faits et gestes. Mais aujourd’hui, c’est différent. Ça l’est parce qu’il se voit en cet homme là. Bien sûr, en plus jeune, moins barbu, moins beau aussi mais ils sont dans la même situation tous les deux. Ressentent la même douleur, il en est sûr et certain. Le regard que créé cette peine ne trompe pas. Jamais.

"Alors qu'est ce qui fonctionne ? Qu'est-ce qu'il faut faire pour avoir droit à un peu de répit... ?" Un rire lui échappe. Pas un rire d’amusement mais rire jaune. Un rire triste. Il est dépité, parce qu’il n’a aucune putain d’idée de ce qu’il faut faire pour que ça cesse d’être douloureux. Pour que se lever en se rendant compte que rien n’a changé ne fasse pas aussi mal. Pour que toute cette peine ne soit pas ce qui dirige sa vie, sa façon de penser, ses actes. « Tu sais, si j’avais la réponse à cette question, je serais pas assis ici en train de me bourrer la gueule en te disant que rien ne réussira à endormir ce qu’il se passe à l’intérieur. » Lui aussi il cherche la solution pour une peine de cœur. Quoi que non, ça ce n’est pas une peine de cœur. Il est brisé. Parce qu’il n’a pas juste perdu un amant mais aussi un ami, le meilleur. Quinze années d’amitié qui n’ont plus l’air d’exister et c’est un peu comme si il avait cessé d’exister en même temps qu’elles. « Ça fait un mois et deux jours, très exactement, que je viens ici tous les jours pour boire un verre ou deux. » Plus, beaucoup plus. Toujours plus. « Et je sais toujours pas si ça passera ou si je dois me résoudre à vivre avec. » Il avait absolument tout et il s’est retrouvé avec absolument rien du jour au lendemain. Et c’est de sa faute, c’est probablement ça le pire dans tout ça. Il n’a personne à blâmer si ce n’est lui.

(c) Niagara ; ft. @Kai S. Turner

Tu reconnais ce rire et tu te doutes de la réponse, du coup. Ou de la non réponse justement. « Tu sais, si j’avais la réponse à cette question, je serais pas assis ici en train de me bourrer la gueule en te disant que rien ne réussira à endormir ce qu’il se passe à l’intérieur. » donc c'est plus seulement boire qui n'endormira rien. Mais absolument rien d'autre non plus. Ouais, il est bel et bien ici pour les mêmes raisons que toi. Tu soupires longuement. Vous ressemblez à des clichés de films tous les deux. Faut croire que c'est bel et bien inspiré de la réalité. « Ça fait un mois et deux jours, très exactement, que je viens ici tous les jours pour boire un verre ou deux. » tous les jours depuis plus d'un mois... alors c'est ça qui t'attends ? Tu regardes ton verre... vide. Tu ne t'es même pas vu le descendre « Et je sais toujours pas si ça passera ou si je dois me résoudre à vivre avec. » tu te frottes les paupières et fait signe au barman de te remettre un verre avant de tourner à nouveau la tête vers ton comparse dans le malheur "D'mon expérience, on finit par accepter la nouvelle et vivre avec, ça devient moins douloureux.. mais putain.. ça peut prendre du temps" tu trouves déjà ça long actuellement alors tu n'imagines même pas pour l'homme assis à côté de toi. "Enfin j'te dis ça mais là... j'ai l'impression qu'ça changera pas" que la douleur ne passera pas. "Tu continues de venir boire ici dans l'espoir que ça finisse par fonctionner du coup ?" ou simplement par désespoir. Par habitude. T'en sais trop rien "Ca f'sait longtemps ? Que vous étiez ensemble j'veux dire" est ce que c'était la fin d'une longue relation. Tu te dis que peut-être s'intéresser à lui te permettra de moins penser à ta relation à toi.