lost little bird

tw - maltraitances familiales, harcèlement scolaire, troubles du comportement alimentaire. Isla voit le jour dans une famille dont les apparences sont lisses: les hommes exercent des métiers qui rapportent plus ou moins d'argent. Plus ça rapporte, mieux c'est. Vous ne verrez pas un Kerr simple caissier ou ramasser les poubelles. Chez eux, on marche au piston plus qu'au mérite, même si on s'échine à faire croire le contraire. Dentistes, chirurgiens (surtout esthétiques), banquiers... où qu'ils soient dans le monde, les Kerr et leurs descendants mettent en avant l'argent comme réussite. Les femmes sont poussées à rester au foyer pour s'occuper des enfants et si certaines travaillent, c'est dans des branches aussi luxueuses que possible, pour ne pas tarir l'image des autres. Bref, les Kerr sont des gens qui regardent le monde du haut du piédestal sur lequel la société pose les riches. Grandes maisons avec jardin, enfants toujours bien habillés, ils entretiennent une image aussi lisse que possible. Et si certains ont préféré renier leur patronyme, ils sont tombés dans l'oubli, cachés comme de la poussière sous un tapis de luxe. Isla fait partie de ceux qui ont aimeraient détacher leur chemin de celui de cette famille dont seule l'image qu'ils renvoient est parfaite.

Dès son enfance, Isla s'est sentie en décalage: rêveuse, elle avait tendance à avoir du mal à se concentrer à l'école, préférant inventer des histoires qu'apprendre ses leçons. Elle écrivait mieux que les autres, parce qu'elle passait des heures à remplir ses cahiers personnels d'aventures toutes plus fabuleuses les unes que les autres. Elle aimait les illustrer aussi, montrant rapidement autant de facilité pour le dessin libre que de difficultés pour la géométrie. Comme c'était une petite fille très réservée, elle avait du mal à socialiser, tout semblait aller toujours trop vite pour elle, tout était toujours trop bruyant. Cette solitude s'est amplifiée au collège, puis au lycée. Nul ne sait vraiment si les brimades se sont contentées d'être psychologiques. Elle n'en a jamais parlé. Mais c'est à la fin du lycée qu'elle a commencé à drastiquement réduire la nourriture, d'abord parce que ça lui évitait de se rendre au réfectoire, ensuite parce qu'elle est devenue obsédée par le comptage des calories. A l'heure actuelle, elle a encore beaucoup trop de petits carnets de poche remplis de chiffres. Comme pour le rangement, rien ne doit dépasser de son assiette et encore moins de ses vêtements. Trop peu adaptée au système scolaire, elle a décroché son diplôme de justesse et n'a pas fait d'études supérieures, au grand désespoir de ses parents.

Non, Isla, ce qu'elle a voulu devenir, c'est autrice et illustratrice. Elle a travaillé d’arrache-pied pour ça. Elle a essuyé des dizaines et des dizaines de refus pour l'histoire de Birdie, petit chien blanc né avec deux taches semblables à des ailes sur le dos. Birdie, c'est une représentation des enfants neuroatypiques et de leurs parcours souvent compliqués. Et si le succès a mis du temps à prendre, c'est désormais son héros principal, qu'elle dessine beaucoup à part, notamment sur un blog qu'elle tient depuis des années. Son travail, elle en est fière et pour rien au monde elle ne voudrait faire autre chose. Mais du côté de sa famille, évidemment, la pilule a du mal à passer. S'ils n'en disent rien officiellement, ils détestent l'idée qu'elle soit aussi différente qu'eux et ne manquent pas de lui faire savoir en privé. Isla est le vilain petit canard du groupe, celle qu'on laisse en bout de table et qu'on n'écoute pas lors des conversations. Bien évidemment, elle ne leur a jamais dit qu'elle est  lesbienne. Elle passe donc pour l'éternelle célibataire, l'incapable d'au moins trouver un homme qui veut bien d'elle. En toute logique, elle a du mal à l'accepter à elle-même et n'a jamais osé se tourner vers les femmes alors qu'elle sait très bien que sa préférence va vers elles.

Pourquoi la petite blonde continue-t-elle de fréquenter une famille dans laquelle elle n'a clairement pas sa place? Pourquoi ne dit-elle pas une bonne fois pour toutes stop aux abus psychologiques qu'ils continuent de lui faire subir? Qu'est-ce qui peut bien faire qu'elle accepte de jouer le jeu et de conserver les apparences? Pourquoi préfère-t-elle changer de sujet quand on lui demande de parler de ses parents? Pourquoi quand, parfois, ses grands yeux bleu trahissent qu'elle a passé des heures à pleurer, se contente-t-elle de dire que "ce  n'est rien, ça va passer"? De toutes évidences, Ilsa a des choses à cacher...