Chaque victoire ne sera que la tienne (Kamil)

J’étais fatigué, aujourd’hui, il y avait des jours comme ça. J’avais mal dormi après ma soirée de travail, et j’avais décidé de ne pas traîner pour autant au lit dans la matinée. J’étais en repos pour deux jours après, si je voulais en profiter pour sortir de ma grotte mieux valait que je me fasse violence dès le début pour ne pas perdre mon temps. Donc après une bonne matinée occupée – courses, petit protocole sportif habituel, ménage – j’avais fini par me poser un peu en début d’après-midi. Pour les corvées, c’était terminé pour mes repos, ce qui était une très bonne chose. Je n’aurais plus qu’à profiter. Pour le moment, je n’avais pas de programme pré-établi. Peut-être bien que je contacterais Ensley pour la voir … Depuis que je savais qu’elle vivait à Seattle et qu’on s’était revus, j’avais l’envie de passer du temps avec elle, et ça ne s’estompait pas du tout. Je n’avais aucune envie de décortiquer ce que cela voulait dire.

Pour aujourd’hui, j’avais décidé d’éteindre un peu mon cerveau, car avec la fatigue je n’avais pas l’impression que je serais une bonne compagnie pour la pétillante blonde. Non, à la place, en fin d’après-midi, j’avais décidé de me rendre dans un lieu dans lequel je me sentais bien à chaque fois que je mettais un pied. C’était l’un des premiers lieux que j’avais réellement côtoyé en arrivant à Seattle, et il avait permis que je me sente bien, un peu comme à la maison. Peut-être par rapport aux personnes que j’avais croisées à ce moment-là et à l’accueil qui m’y avait été fait. Ce bar-restaurant polonais avait été un refuge bien propice à ce que je m’établisse à Seattle, et j’y croisais toujours quelqu’un avec qui discuter, ce qui faisait que je n’étais pas le moins du monde inquiet de m’y rendre seul. Je n’y restais jamais longtemps seul.

J’avais donc pris la route dans cette direction dans ma tenue de la journée, soit un jean et un tee-shirt noir on ne peut plus simple. Une veste en cuir pour terminer la tenue et voilà. Rien de dingue, un jour de repos. Je n’en avais pas eu pour très longtemps de route à pieds, car le restaurant se trouvait dans mon quartier. À cette heure-ci, il serait en mode bar, voire en salle de devoir car parfois certaines familles venaient avec les enfants en sortant de l’école. L’ambiance y était toujours bonne et sans prise de tête, et le fait était que de parler polonais ne me demandait aucun effort. C’était ma langue natale, un vrai naturel chez moi. J’avais terminé ma cigarette avant de l’écraser dans le cendrier de l’entrée et de pénétrer dans le lieu, saluant au passage les personnes présentes.

Je m’étais dirigé vers le bar en regardant autour de moi, histoire de commander une bière. À peine était-elle arrivée que j’avais observé qui était présent, autour de moi. Assez peu de têtes connues, mais j’étais quelqu’un de naturellement sociable, donc ça ne me dérangeait pas. Néanmoins, mon regard accrocha un profil que je connaissais bien, tout en cheveux et barbe noirs. Il semblait plongé dans des pensées bien complexes, aussi n’avais-je pas cherché à l’approcher, jusqu’à ce qu’il lève le nez et me fasse un signe, venant visiblement de me voir et de retrouver un grand sourire. Je lui souris à mon tour, m’approchant à son signe de la main, m’installant finalement selon sa proposition. J’étais venu pour sociabiliser, je n’allais pas refuser une compagnie agréable. Car Sigmund et moi nous connaissions quasiment depuis que j’avais posé le premier orteil dans ce lieu, et il avait un peu pris une place de grand-frère pour moi, en quelques sortes.

« Oui, ça fait une paye, je fais pas mal d’heures en ce moment. » Même si c’était cool et que comme ça j’arrivais à mettre un peu d’argent de côté. « Tout roule pour moi ! » Même plus que ça, vu que j’avais retrouvé un peu plus de pétillant dans ma vie, mais je n’avais pas forcément envie d’en parler de but en blanc, même si Sig était un peu ma personne de confiance quand même. « Et toi alors ? T’en faisais une tête quand je suis arrivé ! »

Parce que oui, j’allais mettre un peu les pieds dans le plat. Il fallait avouer qu’il avait l’air d’avoir retrouvé sa bonne humeur et sa décontraction donc j’imaginais qu’au final je pouvais me le permettre. Je bus une gorgée de ma bière, l’observant sans la moindre discrétion de mon regard bien plus clair que le sien.

Codage par Magma.

Venir dans cet établissement, c’était une habitude depuis presque six ans. Un lieu qui me convenait bien, dans lequel je connaissais pas mal de personnes, de tous âges mais tous de la même origine ; la même que moi. C’était devenu un refuge, avec des sonorités que je connaissais bien, et quand j’avais envie de simplement un peu de contact humain sans prise de tête, c’était ici que je venais. Et aujourd’hui j’avais bien fait, car j’étais tombé sur une tête pas vue depuis un certain temps. Même s’il avait paru perdu dans ses pensées à mon arrivée et que je ne m’étais pas dirigé directement vers lui afin de le laisser à ses pensées, il avait fini par me voir, et j’avais traîné ma bière jusqu’à lui, pour m’installer, et avoir un petit échange amical. J’eus un sourire.

« Ça va, j’aime plutôt bien l’ambiance là où je bosse. J’ai connu pire niveau cas même dans les habitués, en tous cas les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Je fais parfois des rencontres intéressantes. »

Je n’en dis pas plus, gardant un peu de mystère, mais sans trop le montrer. J’avais plutôt l’air égal à moi-même, pour le moment. Et c’était vrai, ça me plaisait beaucoup de travailler au Targy’s, l’ambiance du lieu me rappelait les pubs irlandais, des lieux que j’avais appréciés durant le peu de temps que j’avais passé sur ce petit bout d’île. En tous cas, je n’avais pas pu m’empêcher de taquiner mon aîné pour sa mine concentrée à mon arrivée. Ce n’était pas forcément inhabituel de sa part, d’ailleurs Sig avait la plupart du temps une attitude qui paraissait fermée de l’extérieur. Il était en réalité assez surprenant à découvrir. Je bus une gorgée de ma bière, écoutant sa réponse. Je posai un coude sur la table, posant mon menton sur ma main avec un sourire enjoué.

« Merde, j’aurais du arriver plus tôt pour la croiser aussi alors. » Parce que j’avais rencontré toute la famille, et que j’aimais bien les croiser de temps en temps. « Raconte-moi. En parler ça va peut-être t’aider à faire le tri dans tes pensées et t’empêcher de les ressasser, tu passes déjà assez de temps à réfléchir comme ça. »

J’avais toujours un sourire aux lèvres, un peu amusé, un peu sérieux également. Je me reculais dans le fond de ma chaise, ma bière à la main pour en boire un peu. Je connaissais Sig et sa façon de passer son temps à trop réfléchir, alors si je pouvais l’aider à désamorcer un peu, ce ne serait pas une après-midi de perdue.

Codage par Magma.

Un sourire un peu amusé se forma sur mes lèvres en voyant la réaction de Sigmund. C’était assez drôle, de le voir bloquer en plein mouvement. Il me connaissait, et je le connaissais, donc il était sûr et certain qu’en disant peu de choses, en parlant seulement de rencontres, j’allais le piquer dans sa curiosité. Je me réinstallais un peu plus dans le fond de mon siège, me mettant le plus possible à mon aise. J’avais ce côté très décontracté, et mon sourire partit en coin.

« Le genre de rencontres intéressantes que je n’avais pas prévu. T’es calé en probabilités ou pas du tout ? Parce que moi je fais les calculs depuis quelques jours et c’est hautement improbable. »

Ouais, je le baladais un peu pour le moment. Je n’étais en effet pas pressé de lui parler de ma rencontre avec Ensley, parce que ça amènerait forcément des questions pour lesquelles je n’avais, pour le moment, absolument pas les réponses. J’avais été heureux de revoir la blonde, et il y avait toujours quelque chose qui m’attirait jusqu’à elle. Nous avions échangé nos numéros de téléphone, et prévu de nous revoir, mais pour le moment, on ne pouvait pas dire qu’il y ait eu de grandes avancées. J’avais juste envie de la découvrir, de prendre mon temps, de profiter de ce petit sentiment électrique quand elle était à mes côtés. Et puis, avant de courir, il fallait que j’apprenne à marcher. J’avais beau avoir eu des regrets en quittant la Thaïlande, la retrouver à Seattle, notre chez nous respectif, était inattendu et soulevait pas mal de choses chez moi. Est-ce que je serais prêt à me lancer, si elle l’était ? Est-ce qu’il était temps d’avancer après Livia ? Beaucoup de choses tournaient ces derniers temps, et je n’avais aucune envie d’y réfléchir aujourd’hui, préférant me focaliser plutôt sur les réflexions qui semblaient tourner dans la tête de mon aîné.

« Comme le nez au milieu de la figure. Tu ne trompes personne quand tu fais cette tête-là, on sait que tu es perdu dans tes pensées. Et je te rappelle qu’une bonne partie de mon fond de commerce est d’observer mes clients. »

Avec ça, Sig avait souvent un premier abord dur, qui ne lui ressemblait pas tant, une fois qu’on le connaissait un peu. En tous cas, l’affaire semblait le perturber un peu, et dans ces cas-là il était parfois régulièrement admis qu’en parler aidait à faire sortir les émotions. Et j’étais pratiquement devenu professionnel dans ce domaine puisque j’étais barman depuis quelques années maintenant, et mes clients se confiaient régulièrement à moi. Il suffisait parfois d’une petite phrase à un habitué pour qu’il lâche ce qu’il avait sur le cœur, donc j’étais assez rompu à la manœuvre. J’écoutais donc attentivement ce que mon ami avait à dire.

« Au moment qui compte, on n’a jamais le temps de réfléchir. » J’en savais quelque chose, on n’était pas passé loin d’un accident plusieurs fois sur la piste, et dans ces cas-là, merci à l’instinct de porter la réaction. « Heureusement que tu t’en es sorti, sinon j’aurais été obligé de veiller sur tes sœurs pour toi. » Je levais les yeux au ciel avec amusement. Comment ça, malheureusement il s’en était sorti, d’ailleurs ? « C’est normal que tu aies réagi. La culpabilité, c’est une mauvaise amante. » Et j’en savais quelque chose, même si, dans mon cas, je n’aurais clairement rien pu faire pour changer les choses. Je levais mon verre pour trinquer avec lui. « A l’héroïsme ! » Je bus une gorgée, avant de poser mon regard bien plus clair dans le sien, noir. « A  part ça, qu’est-ce que tu as fait de beau depuis le temps ? Je deviens curieux, à force d’entendre la vie des gens à longueur de soirée ! »

Codage par Magma.

« Ouais, ça l’est. Mais je te raconterais après sinon ça va monopoliser la conversation. »

Je ris un peu. Ouais, c’était plus qu’improbable, que j’ai rencontré Ensley au Targy’s et que, de surcroît, elle vive elle aussi à Seattle. Une chance sur un million, peut-être ? Et je savais que si j’en parlais de suite, l’information intéresserait beaucoup trop Sigmund et la conversation ne repartirait pas sur autre chose, ce qui n’était pas non plus le but. Surtout pas avec la tête que le canadien tirait quand j’étais arrivé, il avait certainement quelque chose sur la conscience – ou le cœur – et il était donc de mon devoir d’ami de le faire parler pour savoir ce qui pouvait lui donner cette mine sombre. Et je n’oublierais évidemment pas de lui dire le fond de mon histoire de probabilité, bien évidemment, même si j’ignorais totalement comment il allait l’accueillir et si j’aurais des réponses aux questions qu’il me poserait inévitablement. En attendant, je refusais de monopoliser l’attention comme ça.

Surtout pas quand mon ami avait visiblement tant de choses lourdes en tête. Je comprenais tout à fait ce qu’il voulait dire. Face à  la mort ou son imminente possibilité, le cerveau humain avait tendance à vriller un peu, et nous envoyer des signaux qui perduraient dans le temps et nous disaient clairement de nous accrocher plus fort encore à la vie, ce qui pouvait créer une situation de stress. C’était d’ailleurs assez proche du stress post-traumatique, à bien y réfléchir. En tous cas, j’essayais de faire ce que je pouvais pour dédramatiser la situation, mais même si je commençais à avoir un peu d’expérience pour tout ce qui avait trait aux relations humaines et au chaos qui pouvait parfois les entourer , je n’étais pas un psychologue, donc je faisais avec les armes que j’avais.

« Ouais je comprends, c’est flippant de croiser la faucheuse d’aussi près ... » Parce que bon, j’avais quand même survécu à un très grave accident de voiture depuis mon arrivée à Seattle, donc je connaissais un peu. « Mais ce qu’il faut se dire c’est que vous allez bien tous les deux aujourd’hui, et qu’un jour tu pourras raconter ton acte de bravoure pour te la raconter un peu. »

Oui, je n’étais pas très sérieux, sur ce coup-là. J’essayais l’humour pour le détendre un peu, avant de trinquer à son héroïsme. Même s’il n’avait agi que par instinct, tout le monde ne l’aurait pas fait à sa place, il fallait bien qu’il s’en rende compte et qu’il se serve de ça pour l’aider à rebondir. Mais comme il n’avait visiblement rien d’autre de neuf dans sa vie, l’autre brun me renvoya les questions, et je m’appuyais sur le dossier de ma chaise. Mon sourit s’était un peu diminué, mais demeurait bien présent. Il y avait des chances que, tout arrivant en même temps, cela devienne un peu chaotique. Bon, bah quand il fallait se lancer…

« En fait, il se passe un truc pour lequel je me demande clairement comment Laïa va réagir. On a encore du mal à parler de Livia, et je sais qu'elle n'arrive pas à faire son deuil donc je pense que la situation pourrait devenir un peu ... délicate ? » Est-ce que Sigmund savait qui était Livia pour moi ? Oui, en six ans il avait fini par l’apprendre, même s’il était l’une des rares personnes à qui je m’étais confié. Il savait par conséquent que Laïa était la petite sœur de Livia, et qu'elle apportait souvent des souvenirs doux-amers avec elle. Bon, en plus, ça, ce n’était qu’une petite partie du mouvement. « Pour en revenir à mon histoire de probabilité. Je t’avais rencontré, que j’avais rencontré une fille qui me plaisait, en Thaïlande. Une autre touriste ? Bon, pour la petite histoire, c’était plus que me plaire, mais j’ai rien fait comme un nigaud et j’ai particulièrement regretté au retour ... » Il était probable que je n’ai pas raconté toute l’histoire, oui. « Et figure-toi que je l’ai croisée là où je bosse, il y a très peu de temps. On a un peu discuté et en fait j’ai appris que … Bah déjà elle aussi elle avait regretté qu’on se soit pas donné de moyen de se recontacter, en quittant la Thaïlande. Et aussi qu’elle habite à Seattle. Donc ça fait plus de six mois que je me retourne le cerveau avec des ‘et si’ alors qu’elle était là tout ce temps et qu’on aurait pu voir ce que ça pouvait donner. » Mais, et il y avait un sacré mais … « Mais je sais pas si je suis prêt à tourner la page. Je veux dire, elle me plaît, quelque chose m’attire, et c’est pas juste physique, j’ai envie d’apprendre à la connaître comme ça ne m’est pas arrivé depuis des années … Mais j’ignore carrément si je suis capable d’envisager quoi que ce soit de plus pour le moment. En plus avec Laïa dans les parages, je sais pas du tout dans quoi je suis en train de mettre les pieds ... »

Même si j’avais envie de mieux connaître Ensley, même si je crevais d’envie de connaître le goût et la douceur de ses lèvres et si son caractère pétillant apaisait mon cœur comme un baume sur les plaies. J’avais parfois l’impression que mon cœur était tellement brisé qu’il était devenu dysfonctionnel, surtout que jusqu’à cette jolie blonde, il n’avait plus jamais émis la moindre petite étincelle ; chose qu’il faisait pourtant beaucoup avec cette pétillante globe-trotteuse. Mon absence d’assurance se sentait sans équivoque possible, même si je n’étais pas déprimé pour autant. Juste un peu … Perdu et en plein questionnement.

Codage par Magma.