Libre comme l’art. [+18] | Shin & Justin

Tu quittes l’hôtel pour un loft.
Bientôt trois semaines passées à Seattle. Tu as rencontré des gens qui t’ont donné envie d’y rester encore un peu donc tu concèdes l’investissement. Même après la conversion en dollars, ton compte en banque reste garni. Tu décides d’abord de sous-louer l’endroit, tu verras ensuite si tu t’y sens bien.
Tu n’as pas grand-chose à déménager. Ces meubles ne t’appartiennent pas, pas davantage que ce lit. De la Corée, tu n’as emmené qu’une valise, celle des fringues que tu avais à la fac. Personne ne t’a laissé rentrer pour prendre le reste et Pin-ye ne peut pas se permettre de te faire suivre plus que de petits objets. Elle ne t’a rien dit, toutefois tu soupçonnes que tout a été détruit.

Tu essaies de ne pas y penser. Casque sur les oreilles, tu es parti faire un tour de ta démarche aérienne. Tu avances au rythme de ce que tu entends, tu regardes autour de toi et t’imagines dans un clip. Un beau plan à prendre, sur ce banc. Et là, tu pourrais taguer ce mur. Téléphone à la main, tu enchaines les selfies, les plans serrés, tu laisses ton imagination déborder pour chasser d’autres images, celle des traitres.
Pourtant, t’écoutes leur nouveau morceau.
Tu te fais du mal.

Au bout d’un temps, tu tournes au coin de ta rue et tu grimpes sur le perron. Il y a un type auquel tu ne prêtes pas attention, jusqu’à ce que tu comprennes qu’il te parle. Tu fronces les sourcils, relève la tête, et t’es surpris de voir le nombre de beaux gosses au mètre carré dans cette ville. Même si celui-ci a l’air un peu perché. Et pas uniquement parce qu'il le dépasse d'une bonne quinzaine de centimètres...

— Une fille ?

Il a l’âge d’être père, lui ? Bête question, tu le sais. Tu ne l’imagines pas avec un môme. Ou peut-être que si. Les Américains… Tu préfères ne pas chercher. Puis il s’explique et tu ris toi aussi.

— Ta fille est un oiseau ? T’es bizarre !

Mais ça ne sonne pas comme une critique, au contraire. Plutôt comme une amusante curiosité aux yeux du touriste que tu es -ce qui s'entend à ton accent. Tu jettes un œil à travers la porte vitrée du hall sans apercevoir le moindre oiseau. Soupçonneux, tu détailles le visiteur de bas en haut (et ça t'oblige à fort pencher la tête), comme si une étiquette allait soudainement apparaître pour te mettre en garde ou, au contraire, élucider cette drôle d’histoire.

— C’est une sorte d’arnaque ? Ou une technique de drague ? C’est original en tout cas, je te donne un bonus pour la réflexion. Mais désolé, je ne te laisse pas entrer sans une vraie bonne raison.

Tu le toises (enfin tu essaies, par en bas, comme tu peux quoi) et tu bloques l’accès à la serrure de ton corps même si t’as tes clés dans une main, les bras croisés sur ta poitrine, poseur provocateur qui n’hésites pas à le regarder droit dans les yeux.
Des beaux yeux, certes.
Mais pour ce que tu en sais, les tueurs en série aussi ont des beaux yeux. Mieux vaut prévenir que guérir !

Tu souris malgré toi devant son affirmation. Tu aimes les gens qui ont confiance en eux, les gens qui te ressemblent. N’empêche, tu ne bouges pas, pas tout de suite, parce qu’il n’a pas réellement répondu à ta question et qu’on t’a bien dit de ne pas laisser entrer des inconnus. Les gens peuvent se révéler dangereux sans raison… Ou avec une raison, après tout tu es capable de déchaîner les passions. Dans une autre vie, ça t’arrivait tout le temps.

L’autre siffle, tape sur la vitre et soudain, un oiseau apparait. Impossible de dissimuler ta surprise, même si elle repart aussi sec se cacher dans une plante. Ainsi, il ne mentait pas ! Tu aurais parié sur le contraire, ou sur une sorte de nom de code, de métaphore, mais pas… ça ?

— Ouais, bien sûr, que tu balbuties.

Tu ouvres la porte avec ta clé et tu le laisses entrer dans le hall pour récupérer son oiseau. Il a suffi d’un compliment pour achever de te convaincre : symétriquement parfait. Quelqu’un qui a du goût, à n’en pas douter. Un bon œil, aussi. Il a parlé de drague, dans son discours. C’était un jeu, pour lui ? Pour toi aussi, avoue, même si t’es loin de le maîtriser.

Tu le regardes un peu mieux pendant qu’il entre pour récupérer son oiseau. Un original, pour sûr… Qui se promène avec un perroquet (ou ce que tu identifies comme tel, t’es pas ornithologue et tu ne connais même pas le terme) ? Et qui l’appelle « sa fille » ?

— C’est où, chez toi, au fait ? Comment ton bébé est arrivé là ?

Tu regardes l’homme, puis l’oiseau. Tu te demandes si elle mord, si elle pince, si elle dort dans son lit, à quoi ressemble son lit, pourquoi les américains sont tellement étranges… Tu te poses tout un tas de questions que tu gardes pour toi, parce qu’une ou deux à la fois, ça suffit. T’as demandé d’un ton étonné, curieux. T’as pas peur de ces animaux, t’as jamais vu le film en lien, faut dire…

L’homme parle dans une langue que tu ne connais pas, que tu n’as même jamais entendue. Est-ce le langage secret des oiseaux ? Peu probable mais, pour ce que tu en sais, tu es en train d’assister à une sorte de petit miracle. En tout cas, l’animal rejoint d’abord l’index puis l’épaule de son propriétaire, aussi bien dressé qu’un canidé. Tu es impressionné, parce que tu n’as jamais vu un oiseau obéir aussi bien ni sembler aussi… réceptif ?

Tu réponds à la main tendue en détachant ton regard du volatile. Tu souris quand vos paumes se touchent, quand tes doigts se serrent, pas trop fort. Un salut ferme mais délicat. Il a les phalanges calleuses là où les tiennes sont fines et douces. Tu imagines qu’il a un métier manuel et tu essaies de deviner lequel. Un sculpteur, peut-être ? Un peintre ? Il semble suffisamment excentrique pour cela.

— Shin. Et j’aime les bonnes surprises.

Tu souris un peu plus largement à la suite de son approche.

— J’ai emménagé récemment. Je ne pense pas t’avoir croisé. Ni elle. Je n’avais jamais vu d’oiseau domestique auparavant. Tu n’es pas américain, je me trompe ?

Il n’a pas le même accent que les gens d’ici, tu pourrais le jurer. Puis il a parlé une autre langue, des mots que tu ne connais pas, que tu n’as même pas retenu et que tu ne pourrais pas prononcer toi-même. Cela ressemblait à une remontrance mais tu ne peux qu’extrapoler. Est-ce bien important ?

— Elle a un nom ?

Tu supposes que oui, sauf s’il l’a appelée « ma fille » ce qui serait un choix… particulier. Mais comme tu l’as déjà catégorisé « bizarre » tu ne t’en étonneras qu’à demi. Tu espères simplement qu’il continuera à faire preuve de bon goût.

Il est français ? Tu arques un sourcil, surpris, intéressé. Tu n’es jamais allé en Europe mais tu as entendu bien des choses sur ce continent. Tu comprends un peu mieux les bizarreries de cet homme qui te propose de caresser son oiseau. Comme tu es curieux, tu saisis l’occasion et tends la main pour effleurer son plumage. Jusqu’ici, tu n’as jamais prêté attention à ces créatures. Elles appartiennent au paysage, elles existent, tu les entends, tu ne les regardes pas. Elles fientent sur les gens qui le méritent (pour preuve, ça ne t’est jamais arrivé) et… c’est tout.

Tu souris largement, comme un enfant émerveillé, quand l’oiseau se laisse faire et te salue en te pinçant le bout du doigt. Tu étais prévenu donc tu ne sursautes pas. Tu trouves même ça cool.

— Salut Peach, moi c’est Shin.

Tu te trouves un peu bête de lui parler, encore plus en anglais puisqu’elle semble comprendre le français, mais tu en as envie et rien ne t’en empêche ! Rien n’empêche non plus Justin de t’inviter à manger chez lui. Quelqu’un d’avisé y aurait réfléchi à deux fois mais d’une, tu n’es pas très avisé et de deux, tu es curieux. Curieux de cet homme venu d’un continent inconnu qui se promène avec un oiseau domestique, qui semble si solaire et spontané. Tu as tendance à être attiré par les gens capables de te faire du mal et tu ne ressens rien de tel chez lui, ce qui ne t’empêche pas d’accepter sa proposition.

— Bien sûr ! Tu vas cuisiner ?

Tu sembles un peu impressionné, toi qui n’est même pas capable de faire cuire un œuf ou des pâtes. T’es un assisté jusqu’au bout des ongles, un enfant de riche devenu encore plus riche et privilégié, une super-star qui se ruinera à commander des plats plutôt que d’approcher d’une cuisinière impeccable. Les gens capables de cuisiner sont des magiciens pour toi et tu te dis que si ce genre de personne existait, Justin pourrait en être un beau spécimen.

@Justin Wilson

Tu n’en comprends pas la raison mais tu ressens une certaine satisfaction à l’annonce que Peach t’aime bien. Comme si tu venais de réussir une épreuve. Tu te demandes ce que ça donnerait, si elle s’installait chez toi. Tu n’as jamais eu d’animaux domestiques et tu ne te projettes pas bien dans le projet mais ça pourrait être une expérience… Une expérience pour une autre fois, parce que Justin t’invite à manger chez lui.

Tu le suis dans son immeuble relativement semblable au tien mais le duplex dans lequel tu entres n’as rien de commun avec l’appartement que tu sous-loues. Et pas uniquement parce qu’il possède un étage supplémentaire dont tu ne saurais que faire… Au premier pied posé dans le lieu, tu comprends que Justin est un artiste. L’endroit sent la peinture et déborde de personnalité, dans un joyeux désordre plein de feuilles, de crayons, d’objets insolites (pourquoi y a-t-il un sapin de Noël en plein mois de février ?). Tu poses tes yeux partout, essaies d’enregistrer les détails. Tu souris largement, des étoiles dans les yeux.

— Tu es un artiste ?

Tu n’as pas répondu aux questions concernant la nourriture ni les boissons, tu as l’esprit trop occupé sur tout le reste alors tu te contentes d’agiter la main, comme signe universel, comme si Justin possédait un petit Shin illustré capable de lui faire comprendre que, franchement, d’autres sujets t’intéressaient davantage, là.

Tu adores les personnes dotées d’un esprit artistique. Tu te targues d’en posséder un toi-même, d’ailleurs, même s’il s’agit d’art corporel. C’est là que tu lèves les yeux et que tu contemples une fresque visible depuis le salon. Elle se situe à l’étage du dessus. T’es impressionné, t’arrives même pas à le cacher, à te la jouer. Non, il t’a trop surpris, trop désarçonné, t’as l’impression d’être un môme. Un ou insecte englué dans la toile d’une bien jolie araignée ?

@Justin Wilson  

Tu prends la boisson qu’il te donne d’un geste automatique, ton attention toute tournée vers ses œuvres. Tu hoches la tête en apprenant qu’il donne des cours à l’université, qu’il dessine et qu’il peint. Tu te dis que si tu avais eu un professeur comme lui, tu te serais peut-être davantage investi dans tes études mais tu gardes la remarque pour toi, un peu gêné d’y penser alors même que lui ne se dérange pas pour te toucher. Tu te laisses faire parce que ce n’est pas désagréable, mais t’es content d’avoir de quoi boire en main. Tu prends une gorgée du liquide que tu es incapable d’identifier et tu le suis.

— Tu pourrais juste être quelqu’un de bon goût, mais je comprends mieux.

Il te présente des tableaux, des paysages aux couleurs impossibles. Tu te penches en avant pour observer son souci du détail. Tu ne t’y connais pas du tout en art mais tu as deux yeux et tu es capable de dire quand quelque chose est beau. Tu siffles pour souligner ce que ça t’inspire.

— Un jeu-vidéo ? Waw. Je pensais que tout se faisait avec des ordinateurs, de nos jours.

Tu te rappelles les clips que tu as pu tourner, le nombre de détails et d’effets ajoutés lors du montage final, que tu découvrais avec surprise en même temps que les millions de fans du groupe. Tu ignores comment tout cela fonctionne et la façon dont Justin créé te semble incroyablement désuète, ce qui fait son charme. Décidément, c’est un original.

— Tu fais toujours des trucs imaginaires ? J'ai déjà vu des choses de toi ?

T’as rien contre l’imaginaire, t’as juste assez peu de culture artistique quand ça sort de la danse ou de la musique. T’y connais rien, t’as peut-être lu deux livres en entier dans ta vie et tu préfères regarder des séries ou des mangas réalistes, pour t’identifier aux personnages. Ce que tu préfères souvent, ce sont les génériques, d’ailleurs.

@Justin Wilson  

— Attends, tu es carrément un auteur publié ? T’es célèbre ?

Tu te retrouves avec une bande-dessinée dans les mains sur laquelle apparait un petit extra-terrestre dont le design t’est vaguement familier. Tu passes un temps infini sur Instagram alors tu l’as déjà croisé, t’en es certain. Et tu trouves ça dingue de tenir entre tes mains quelque chose que Justin a créé, qui a plu à un éditeur, qui existe dans les librairies. T’as beau être une (ancienne) star à plusieurs millions d’abonnés, tu trouves ça fou, et même incroyable. T’as beau ne pas être un grand lecteur, tu as l’impression que ce n’est pas rien, comme exploit.

Tu feuillettes l’objet, relève la tête uniquement pour répondre.

— Carte blanche ! Tu me fais découvrir quelque chose de chez toi ?

Tu souris, charmant, et tu te replonges dans la lecture des strips en quatre cases. À aucun moment tu ne te fais la réflexion que tu es un peu trop à l’aise, que tout parait un peu trop facile. Il y a des gens, comme ça, mais tu n’en avais jamais rencontré jusqu’ici. Justin est… intéressant, décomplexé, sans prise de tête. Il dégage une aura apaisante, saine, il est solaire et toi, t’es un papillon à l’agonie sur le point de se jeter au feu.

Ou quelque chose comme ça.

— Tu me la prêtes ? Je ne lis pas beaucoup mais je suis curieux. Comment ça t’es venu, l’idée de l’alien ? Et les textes ?

Tu lui en montres un qui parle d’une pizza, tapotant la bulle de ton index comme s’il ne l’avait pas écrit, comme s’il avait besoin d’un support pour te répondre. Tu dois avouer que t’es impressionné par la façon dont il te fait comprendre qu’il n’est pas n’importe qui, sans jamais avoir l’air de se vanter. À aucun moment Justin ne parait égocentrique et ça, c’est un tour de force.

@Justin Wilson