« Biscuits & papote » † Keziah & Bart

« Biscuits & papote »

@Keziah D. Blackthorne & @Bartholomew Caldwell

Seattle – 21 mars 2024 – rendez-vous de 16h30

Les six derniers jours avaient été particulièrement intenses. Deux jours sur la route, avec la totalité de Satan’s Crucifix, pour l’aller. Comme d’habitude, un joyeux bordel, entre Klaus qui harcelait sans succès Wolf pour jouer à la console, Rhys toujours partant pour jouer, Indy qui se faisait un plaisir de m’empêcher de lire … Bref, la joie et la bonne humeur, comme d’habitude ! Puis trois soirées de concert, les premiers de cette nouvelle tournée. Un accueil monumental du public. Trois soirées à guichet fermé. Accompagnées des choses habituelles, comme les séances de dédicaces. Et le retour, deux jours de route de nouveau, un peu plus calme avec la retombée de l’excitation du départ, mais pour autant avec toujours autant de bonne humeur.

J’avais été éprouvée par le voyage, comme toujours. Même si j’adorais mon métier, même si j’adorais être avec le groupe, certains aspects étaient encore délicats pour moi. Monter sur scène, c’était génial même si le stress avant était épuisant. Se plier aux présences pour les photos de certains médias, voire de rares fois des interviews groupées – la plupart du temps c’était plutôt pour Wolf – ça allait encore.  Les dédicaces, ça, c’était compliqué. Surtout quand on était en configuration bain de foule. Le groupe faisait ce qu’il pouvait pour me garder dans ma zone de sécurité, mais c’était vraiment le plus compliqué pour moi.

Donc, comme à chaque fois après une si grosse session de concert, il restait un rituel de décompression très important. Il y avait des années que j’étais suivie par le même psychologue, et c’était un passage systématique à chaque retour. Le rituel était bien rôdé. Un rendez-vous de fin d’après-midi au lendemain du retard, chaque fois, pour me laisser le temps de récupérer un minimum de la route, et également de cuisiner un peu. Le psy était gourmand, et puisqu’une de mes activités de détente favorite était la cuisine, nous avions pris l’habitude de grignoter pendant la séance.

J’étais épuisée après le voyage à Phoenix, mais également ravie. Tout s’était bien passé, j’avais été plus à l’aise que d’habitude. Par contre, nous étions rentrés tard, et le réveil avait été difficile. J’avais traîné jusqu’en fin de matinée, avant d’être réveillée par la faim. Puis le début d’après-midi fut bien occupé ; manger, cuisiner, se préparer, partir. J’avais opté pour préparer des cookies aux pépites de chocolat, de grands classiques, ainsi que des sablés au citron. Rien de nouveau, des recettes maintes fois éprouvées, mais je n’avais pas le courage de faire autre chose.

J’étais arrivée avec un peu d’avance au cabinet, ma boîte métallique de gâteaux posée sur mes genoux. Je m’occupais sur mon téléphone en attendant l’heure du rendez-vous. Il y avait pas mal de choses à gérer mine de rien après le retour, de petits rendez-vous divers et variés. De petits projets prêts à avancer. Ma vie se remplissait, évoluait. Il y avait déjà un tel mieux depuis que j’avais été sortie du joug de mes parents, mais encore tellement de choses qui me pourrissaient la vie !

Vint l’heure du rendez-vous, et je me levai avec un sourire lorsqu’il fut temps d’entrer dans le cabinet. Parfois, comme aujourd’hui, j’étais incapable de faire le moindre effort pour le moindre contact physique. Même serrer une main, après trois jours de bain de foule, c’était complètement impossible. D’autres fois, je commençais à prendre sur moi, mais de manière générale, ça m’était toujours aussi difficilement supportable. Alors, je pris le temps de m’installer, parce qu’après tant d’années, c’était une habitude bien acquise. Je déposai la boîte de biscuits.

« Bonjour ! J’ai fait simple aujourd’hui. Cookies et sablés au citron. On est rentrés particulièrement tard hier. »

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@Keziah D. Blackthorne & @Bartholomew Caldwell

Seattle – 21 mars 2024 – rendez-vous de 16h30

Il y avait des patients avec lesquels j'avais plus d'affinités, il faut dire que certaines raisons de présence au sein de mon cabinet me faisaient parfois soupirer de dépit. Parfois, j'avais un peu de mal à comprendre le cerveau humain mais je devais faire avec. Si je me mettais à sélectionner mes patients, je n'en aurais plus beaucoup. Je ne serai pas pauvre pour autant car j'avais une seconde activité qui remplissait mes poches. Une passion que je pouvais faire sans que l'on me vienne m'embêter car personne ne le savait - à part ma famille- que j'étais aussi un célèbre peintre. Mystérieux, on n'en connaissait que son pseudo et même celle qui s'occupait des vernissages ne savait pas à quoi je ressemblais. Je déléguais toute cette partie de ma vie et c'était assez drôle ensuite de se rendre à mes expositions pour voir ce que les visiteurs en pensaient. Je n'avais pas que des retours positifs - les goûts et les couleurs comme on dit. Mon inspiration se trouvait devant une toile et je me servais de cette créativité pour gribouiller des formes sur du papier que je montrais aussi parfois à des patients. Je faisais mes propres tâches d'encre en quelque sorte.
Aujourd'hui Keziah était de retour après sa petite tournée avec son groupe. J'étais fier d'elle, comme un papa. Après tout ce qu'elle avait vécu, se retrouver devant autant de visage inconnu devait être effrayant mais elle faisait de son mieux pour être forte et pouvoir pratiquer la musique. Un jour, peut-être que son groupe percera et ira au-delà des Etats-Unis. Pour l'instant je gardais la demoiselle en vue, et la dorlotais peut-être aussi en lui ayant donné mon portable au cas où elle aurait besoin de mon aide. J'étais impatient qu'elle me raconte sa semaine et aussi de goûter à ce qu'elle avait préparé cette fois. J'étais un piètre cuisinier alors je profitais des talents culinaires de la jeune femme.
Cette dernière m’attendait gentiment dans la salle d'attente lorsque j'avais ouvert la porte après avoir salué la patiente avec qui j'étais.

- Bonjour Keziah

Je la saluais avec un sourire, la laissant s'installer comme si elle était chez elle mais depuis le temps qu'elle venait c'était un peu le cas. Je regardais la boîte qu'elle venait de poser sur mon bureau. La gourmandise était l'un de mes plus grands défauts.

- Merci beaucoup ! J'ai hâte de les goûters !

Je n'allai pas faire le difficile alors qu'elle avait la bonté de venir avec des biscuits. Je prenais mon cahier pour chercher la date de notre dernière petite réunion. L'informatique ? Et si mon ordinateur tombait en panne hein ? Je serai bien embêté.

- Alors comment c'était Phoenix ? Tu t'es bien amusé ?

Je ne doutais pas que c'était le cas, même si elle avait du mal avec les contacts physiques cela n'empêchait pas une artiste de se produire. Je faisais de mon mieux pour l'aider à guérir de son traumatisme.

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@Keziah D. Blackthorne & @Bartholomew Caldwell

Seattle – 21 mars 2024 – rendez-vous de 16h30

Il y a huit ans, j’avais du réapprendre complètement à vivre. Réapprendre à apprécier le soleil sur ma peau, supporter les espaces exigus. Réapprendre à côtoyer des gens, supporter leurs regards et leurs gestes. Pour parvenir à sortir la tête de l’eau de manière régulière, j’avais commencé par régler ma vie comme du papier à musique. Côtoyer les même gens, planifier les même rendez-vous, faire les même activités. Au départ, la musique, c’était une petite partie de ma vie, même quand j’ai rencontré les jumeaux. Puis c’est devenu beaucoup plus gros, beaucoup plus sérieux, et ça a fait évoluer ma routine vers … Beaucoup moins de routine ! Des répétitions de durée variée, à des dates variées, dans des lieux variés. Des déplacements, sur des distances et des nombres de jours très différents. Un tas de petites choses qui m’avaient obligé progressivement à sortir de ma foutue coquille. Ne restaient que quelques activités auxquels je m’accrochais pour mon propre bien, en les gardant aussi organisées que possible. Premièrement, cuisiner et pâtisser, ce qui m’évitait un stress monumental puisque j’avais gardé de sacrés traumatisme à cause de la faim que j’avais ressentie si longtemps. Puis mes séances chez le psychologue, pour pouvoir débriefer, et surtout au retour d’une tournée, car ces moments, bien que partie intégrante de mon job, étaient de vrais défis pour moi.

Ces deux activités avaient été mon programme de la journée, après mon passage à Phoenix avec Satan’s Crucifix. Au revoir ma basse et mon violon pour aujourd’hui, bonjour mes petits fourneaux – grand piano de cuisine pour être honnête – et mon rendez-vous habituel chezz le docteur Caldwell. Aujourd’hui c’était un peu comme le début de très courtes vacances pour moi … Jusqu’à la prochaine répétition, en tous cas ! J’attendis patiemment mon tour chez le praticien, et entrai en le saluant afin d’aller m’installer et de déposer sur le bureau mon précieux paquet ; mes biscuits du jour, humble contribution à la séance grâce à mes talents de cuisinière. Il y avait longtemps que l’angoisse de venir en séance avait cessé de me tordre le ventre. Au contraire, maintenant j’appréciais de grignoter en même temps, ce qui m’aidait à me détendre. La nourriture était une vraie thérapie chez moi, surtout tout ce qui était à base de chocolat. J’étais gourmande et je n’y pouvais pas grand-chose … Je ris doucement à la réponse du psychologue.

« Ils sont bons, normalement. Ce sont deux recettes souvent éprouvés. »

Pour deux ou trois activités, j’étais sûre de moi, la cuisine en faisait partie. Parfois aussi la musique, en tous cas quand il ne s’agissait pas de monter sur une scène devant un vrai bouillon de foule … Par habitude, j’ouvris la boîte, la présentant ouverte pour la séance comme à mon habitude. Je résistais à l’idée d’attraper tout de suite la première douceur. On allait peut-être quand même parler un peu avant de commencer à se goinfrer … D’ailleurs je répondis volontiers à la première question.

« Phoenix était très chouette. J’ai profité de quelques bains de soleil lorsque nous n’étions pas pris par d’autres obligations. Trois soirs de concert, ça s’est avéré très intense, je dois avouer. » Je marquais une pause. Je n’étais pas forcément bavarde de nature, mais je savais aussi que je ferais mieux de parler de moi-même plutôt que de me faire tirer les vers du nez … Bart commençait à trop bien me connaître. « L’accueil que le groupe reçoit est absolument monumental. Ce sont à peine nos premiers concerts, et nous voilà arrivés déjà à guichet fermé. Donc forcément, c’est très intense pour moi, comme moments. » J’observai un instant mes ongles, avant de me décider à ajouter quelque chose, histoire de mettre des mots sur mes maux, ce qui était le but de nos séances, tout de même… « Je commence à adorer monter sur scène. Cette partie-là du job, elle est de plus en plus simple et agréable. J’ai toujours aimé jouer avec le groupe, c’est juste que devenir un personnage public, ça m’angoisse beaucoup plus. Quand je vois l’engouement autour de Klaus, ou de Wolf, je me dis que je ne veux pas la même chose. J’aime mieux l’ombre, mais je ne pourrais jamais envisager un seul instant de laisser tomber le groupe pour y retourner … Parce qu’ils sont ce qui ressemble le plus à mes yeux à une famille, je suis rarement aussi heureuse que lorsque je suis à leurs côtés. » Je penchai la tête sur le côté, preuve que je réfléchissais à ce que je disais. « Par contre je déteste toujours autant les séances de dédicace. Je sais que ça fait partie du package, et que je suis en sécurité tant que les jumeaux sont à proximité parce que je n’ai clairement aucun mal à disparaître derrière eux si jamais les gens deviennent trop proches à mon goût, mais c’est vraiment ce qui est le plus difficile pour moi. Je crois que je ne m’y habituerais jamais. »

Tous les métiers avaient des points moins positifs que d’autres, et c’était clairement ça dans le cas de mon propre métier. Il était pour le moins clair à mes yeux que si le groupe n'était pas une telle famille, soudée malgré nos caractères si différents, je ne serais pas capable de faire ce métier. Mais en même temps, je ne voyais pas ce que j'aurais pu faire d'autre. J'étais une fille complètement en vrac, loin d'être fonctionnelle dans la vraie vie et incapable d'affronter certaines choses, alors à part de la musique, je ne vois absolument pas ce dont j'étais capable. Cuisiner peut-être ? Il fallait avouer que les événements de ma vie s'était tellement enchaînés ces dernières années que je n'avais jamais eu le luxe de me poser la question. Mon existence était un tourbillon qui, la plupart du temps m'empêchait de réfléchir et de sombrer.  

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@Keziah D. Blackthorne & @Bartholomew Caldwell

Seattle – 21 mars 2024 – rendez-vous de 16h30

Je ne doutais pas que les biscuits préparés par les mains délicates de la jeune femme soient bons. Cela serait un véritable sabotage sinon de notre moment de discussion autour d’un petit goûter. Je ne faisais pas ce genre de choses avec toutes mes patients, certains pourraient mal le prendre et me voir comme un ennemi. Keziah était doué en cuisine, c'était même une passion quelque part et je ne pouvais que l'encourager à pratiquer une activité qui l'a mettait à l'aise et la détendait aussi. Après cette petite tournée, elle avait bien besoin de se ressourcer.

- Je devrais t'embaucher comme cuisinière

Glissais-je en plaisantant, même si cela ne serait pas non plus une mauvaise idée vu mon propre talent inexistant. J'étais en revanche très doué pour faire brûler un plat. Je riais de moi-même avec tellement d'aisance que parfois mes amis étaient obligés de me rappeler que ce n’était pas drôle, si un jour il y avait un feu et que je me serai endormi. Ils n'avaient pas tort, d'autant plus que la fumée pouvait être un véritable poison toxique pour le corps. Ce n'était même pas que j'étais trop paresseux pour cuisinier, mais mon cerveau n'enregistrait pas tout ce que je faisais et j'oubliais alors ce que j'étais en train de faire pour partir sur totalement autre chose. Enfin bon, je prenais un biscuit tout en écoutant mon interlocutrice me raconter comment cela s'était passé à Phoenix avec son groupe. Faire de la musique alors qu'on n'appréciait pas le contact avec les étrangers c'était compliqué mais elle avait au moins le courage d'aller au-delà de sa phobie, ce qui était déjà extraordinaire dans un sens et une très bonne chose.

- J'ose imaginer oui mais c'est de la fatigue positive ! L'inverse serait inquiétant en vérité

Déclarais-je avec un sourire. Sortir d'un concert sans être essoufflé, cela voudrait dire qu'on ne s'est pas donné à fond. C'était de cette façon-là que je voyais les choses mais peut-être que ce n'était pas le cas de Keziah. Cette dernière m'expliqua ensuite son ressenti vis à vis de la scène, des autres membres et aussi de ce qu'elle devait faire pour les fans.

- Je comprends ce que tu veux dire. Personne ne t'oblige à entrer dans la lumière. Il y a beaucoup de groupe où on ne connait pas le nom des musiciens tu sais ou que l’on entend très peu parler aussi. Si jouer de la basse ou du violon sur scène te plais, alors fonce. Ne te préoccupe pas du reste. Je suis certains que les autres membres ne te connaissent bien pas vrai ? S’ils sont assez humains, jamais ils ne feraient quelque chose pour te causer du tort. Pour ce qui est des séances de dédicaces je ne peux pas vraiment t'aider là-dessus. Simplement te mettre à l'esprit, que tout le monde ne veut pas te faire de mal. Il ne faut pas mettre ces gens tous dans le même panier . Après il y a une technique vieille comme le monde, les imaginer tout nu ou en train de faire caca.

C'était ce que je proposais lorsqu'un patient me demandait des conseils pour être moins timide à l'oral. La peur du jugement était souvent la cause de cela, alors autant la combattre avec sa propre imagination.

- Très délicieux ce cookie au fait !

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@Keziah D. Blackthorne & @Bartholomew Caldwell

Seattle – 21 mars 2024 – rendez-vous de 16h30

Ramener de quoi grignoter pour nos rendez-vous était une habitude prise depuis longtemps, désormais. Depuis que j’avais commencé la thérapie par la cuisine, plus précisément, puisque Bart m’avait poussé à poursuivre ce qui me faisait du bien. J’avais donc fait en sorte de ramener au fur et à mesure de quoi prouver mon avancement, et même si au départ le résultat avait été plus ou moins catastrophique, aujourd’hui j’en était à savoir organiser des mélanges subtils et inattendus pour parvenir à un équilibre des saveurs. Et le psy le savait parfaitement bien, à force, donc sa petite phrase sur mon embauche me fit rire doucement.

« Navrée de devoir décliner la proposition, je crois que je suis déjà trop occupée. »

Le groupe me prenait un temps fou. Je passais le plus clair de mon temps à m’entraîner pour me maintenir à un niveau suffisant pour la musique, assurant ma régularité de métronome, la base de mon métier. J’étais bassiste, une part de mon job, c’était de maintenir le tempo du groupe. Je n’avais pas le droit à l’erreur, et sans vouloir me vanter, j’étais très bonne à cela. Sans ça, je ne pourrais pas en être là, avec eux, aujourd’hui. Ils y seraient sans moi. Mais tout s’était bien passé, une fois de plus, à Phoenix, si ce n’était que j’étais particulièrement vannée. Et en effet ça n’avait rien d’étonnant, entre les séances concerts où on s’était donné à fond, les dédicaces qui avaient pas mal duré, les diverses obligations, le peu de sommeil, l’effervescence générale qui avait régné autour des concerts et pour moi la quantité de stress engendrée par la situation … Mais cette fatigue était positive, elle prouvait qu’une fois de plus j’étais parvenue à aller au-delà de moi même et à faire ce qui aurait été impossible il y a quelques années encore. La présence des membres du groupe, une véritable famille soudée à mes yeux désormais, m’avait permis de venir à bout d’une partie de mes réticences avant de monter sur scène.

« Lorsqu’il s’agit du groupe, c’est toujours positif. Ils mettent tout en œuvre pour, en tous cas. »

Je savais les efforts de leur part, je savais également la logistique mise en place pour me permettre de rester à mon aise. Je parlais finalement de mon ressenti général sur ma situation de musicienne professionnelle, qui évoluait au gré du groupe. Une part du métier devenait plus simple, pour moi, petit à petit, la principale part, mais une autre s’avérait toujours un peu compliqué. Rien à voir avec les débuts, il n’y avait plus depuis longtemps ces crises d’angoisse qui me tétanisaient, ni cette envie de vomir profondément ancrée en moi au moment d’y aller, mais je n’en étais toujours pas friande. Je m’y pliais parce que ça faisait partie du contrat, mais je n’en tirais aucun plaisir. Maintenant au moins j’étais capable de feindre un sourire convaincant si nécessaire, car avant, ce n’était clairement pas le cas, au contraire même. J’étais longtemps restée figée.

« Ils me connaissent par cœur, et ils s’arrangent toujours pour me donner mon maximum d’aise. Ce sont des choses simples, comme s’assurer qu’un cordon de sécurité a été tiré, ou que personne ne bloque l’issue de secours la plus proche. J’ai énormément de chance de les avoir rencontrés, ils mettent vraiment de l’énergie au profit de mon bien-être, et je leur en suis redevable, même si je sais que ce n’est pas leur but. Ils me sont précieux, et c’est aussi pour cela que je ne veux pas lâcher l’affaire. » Sinon, il y aurait belle lurette que j’aurais abandonné, à n’en pas douter. « Mais ça reste difficile en dédicaces, car pour certaines personnes nous sommes des objets de consommation. Ils ont payé, ils veulent ce qu’ils pensent être leur dû. Ils ne sont pas tous comme ça, loin de là, mais pour certains il est normal de chercher à nous toucher. C’est ça, qui est compliqué pour moi. Rester bloquée en état de stress de savoir si cette fois quelqu’un attrapera mon poignet, s’il y aura un mouvement de foule qui finira plus ou moins par m’encercler ou si tout le monde va garder une distance respectueuse. Je travaille activement à me détendre à ce sujet, mais ce n’est vraiment pas simple, et je ne veux pas tomber dans la facilité de prendre quelque chose pour avancer sur ce point, parce que sinon je ne vaincrais jamais mes démons. »

J’étais assez catégorique là-dessus.  J’avais trop peur de me complaire dans la facilité d’avaler quelques calmants pour engourdir une partie de mes angoisses et en devenir dépendante. Je n’avais pas l’impression d’être suffisamment forte pour résister aux sirènes de la facilité, et les choses étaient déjà bien assez compliquées pour ne pas en rajouter une couche. Je préférais de loin devoir me faire violence, je savais qu’on aurait toujours une solution avec le groupe pour palier à mes angoisses. J’eus finalement un sourire.

« Ravie que ça vous plaise. C’est simple, comme recette, mais j’adore toujours autant les faire, ça a un petit côté réconfortant. »

Certains auraient sûrement dit régressif, un goût d’enfance, mais ce n’était définitivement pas le cas. Il ne restait pas grand-chose de positif, de mon enfance. Quelques amis, qui étaient rares, je n’en avais jamais eu beaucoup, et le temps avait fini par faire son œuvre lentement. La gestion de mes phobies également, pour certaines personnes j’étais tout  bonnement folle. Il n’était, pour elles, pas normal de fuir tout toucher, parce qu’on se connaissait depuis longtemps. Mais je ne contrôlais pas du tout, à l’époque. Mon esprit avait fini par rejeter violemment tout ce qui pouvait me ramener à ce que j’avais pu subir. Cette pensée en amena une autre.

« J’avance tout doucement sur ma phobie du contact. Déjà, quand il y a un toucher inopiné, ça ne fait plus remonter de flash du passé, peu importe la personne, et c’est déjà reposant. Avec les personnes que je connais, il devient un peu plus aisé. Ce sont des choses simples et insignifiantes pour certains, comme prendre une main, ou même laisser quelqu’un prendre les deux miennes, une rapide accolade quand on se rencontre, mais ça me crispe beaucoup moins, pour ne pas dire plus du tout avec certaines personnes. Je sais que ce n’est qu’un tout petit pas, mais c’est quand même en avant. »

Car jusqu’à peu, ces situations étaient douloureusement paniquantes, pour moi. Bien sûr, il n’était pas probable du tout que tout revienne à la normale rapidement, mais j’essayais de me dépêtrer de cette phobie qui rendait mon quotidien et surtout mon métier extrêmement compliqué. Les petits contacts du quotidien, si rares jusqu’à présent, risquaient de se multiplier un peu. Bien sûr, je n’allais pas devenir tactile, j’imaginais assez peu que ça puisse devenir mon genre, mais peut-être qu’au moins je serais capable de poser une main rassurante sur le bras d’un ami, ou accepter un rapide câlin de salutation de la part d’un proche. Un petit pas après l’autre, je savais que ma reconstruction serait longue. J’avais passé plus de temps à être bousillée par mes parents qu’à me reconstruire, jusqu’à présent ... 

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@Keziah D. Blackthorne & @Bartholomew Caldwell

Seattle – 21 mars 2024 – rendez-vous de 16h30

Je mimais une déception sur mon visage à la suite du refus de la jeune femme de venir cuisinier pour moi. Dommage, ma maison était vraiment confortable et la cuisine spacieuse mais je comprenais qu'elle n'avait pas vraiment le temps en tant que musicienne d'un groupe sa présence était essentielle. Entre les répétitions et les compositions, il y avait de quoi avoir de grosse journée en perspective. Tant qu'elle ne se tuait pas à la tâche, c'était le plus important. Mais je ne doutais pas que Keziah avait trouvé une harmonie dans sa vie en quelque sorte grâce à la musique et aux membres du groupe. C'était un peu comme une sorte de famille généralement. Et dieu savait que celle de base de ma patiente était atroce.

- Tant pis, je continuerai à faire brûler mes plats

Déclarais-je avec un clin d'œil. Je lui avais ensuite demandé de me raconter son périple, comment elle l'avait vécu et si tout allait bien depuis son retour. La redescente pouvait parfois être brutale surtout si on avait pris sur soi-même pendant des jours. La fatigue me paraissait tout à fait légitime et normal, vu comment un groupe se donnait à fond généralement sur scène. J’étais déjà allé à plusieurs concerts dans ma jeunesse et j'étais presque aussi épuisé que les artistes à force de chanter et de sauter comme un fou. Maintenant tout ceci c'était du passé pour moi, je n'avais plus la force pour faire cela mais ces moments restaient des souvenirs merveilleux dans ma mémoire.

- Un jour peut-être que je viendrais vous voir...Pour les sessions acoustiques

Je doutais que Satan's Crucifix en fasse un jour mais c'était ma manière à moi de montrer que je soutenais leur projet et à ce qu'il se fasse connaître de plus en plus. Naturellement la notoriété n'avait pas que du positif et Keziah et les autres membres allaient s'en rendre compte de plus en plus fort. Cela commençait par des autographes ou vouloir serrer la main mais ensuite ça pouvait devenir encore plus...violent. Il y avait toujours des extrêmes. La jeune femme devait toujours penser à soi-même avant les autres pour ne pas se laisser tomber dans la panique. Trouver un équilibre n'allait pas être facile dans cette vie musicale qu'elle avait choisie.

- Tu sais il y a des artistes qui disent tout simplement non, et les vrais fans comprennent cela sans souci. Comme tu le dis, certaines personnes pensent que vous faites partie du package lorsqu'ils paient leur place mais c'est faux. Ils sont là pour payer le dur fruit de votre labeur pas pour vous tripoter.

Cela avait toujours provoqué en moi une révolte ce genre de comportement. Il n'y avait vraiment plus de respect dans le cerveau des gens parfois et je n'avais qu'une envie c'était de les secouer et de les jeter dans un puits. Mais après je devrais vivre en vagabond pour ne pas finir derrière les barreaux.

- Prendre des médicaments n'est pas la solution. Elle ne fait que mettre les problèmes sous le tapis sans les résoudre. Toutefois si jamais tu ne vas pas bien et que tu n'arrives pas à te calmer, il vaut mieux prendre quelque chose que de faire un acte malencontreux. Lorsque tu joues du violon ou de la basse, est-ce que cela te permet de te calmer ?

Demandais-je en regardant mes notes, mon cerveau était un peu pagaille et l'heure de la sieste approchait ce qui me déconnectait un peu. Les petits gâteaux de ma patiente me donnait au moins un peu d'énergie pour tenir jusque-là.

- C'est une excellente nouvelle Keziah ! Tu as bien avancé depuis que l'on se connait, je suis fier évidemment de ces progrès. Il reste encore beaucoup de chemin avant que tu te sentes à l'aise avec un étranger, malheureusement peut-être que tu auras toujours une petite crispation jusqu'à la fin de ta vie mais c'est toujours mieux que de vouloir s'enfuir en courant pas vrai ?

L'encourager faisait partie d'une bonne thérapie et je voulais qu'elle ait la conviction que tout n'était pas perdu.

- Et comment ça se passe avec le groupe de paroles ? Tu parles avec les nouveaux arrivants ?

J'intervenais de temps en temps dans un autre groupe mais pas tout le temps. Certains comme Keziah étaient aussi dans mes patients. Je trouvais cela une bonne idée ce genre de groupe, cela permettait d'échanger et de se soutenir mutuellement dans des situations certes différentes car pas tous ne souffraient pas de la même chose mais ils avaient tous été écorchés dans leur vie un moment ou un autre.

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@Keziah D. Blackthorne & @Bartholomew Caldwell

Seattle – 21 mars 2024 – rendez-vous de 16h30

J’étais déjà bien assez occupée par mon métier de musicienne de groupe pour ne pas accepter en plus de cuisiner pour mon psychologue. J’adorais ramener quelques friandises pour nos rendez-vous, et également cuisiner pour moi-même, mais je ne pensais clairement pas avoir assez de place restante dans mon emploi du temps de ministre. Surtout pas en ce moment, où nous travaillions beaucoup pour les prochains concerts qui allaient s’enchaîner pas mal. Au moins une semaine par mois, et ça ne faisait que s’ajouter à nos obligations habituelles. Oui, 2024 serait encore une année chargée, mais ça devait être ça, la fameuse rançon de la gloire, non ? Et puis, en dehors des répétitions et des concerts, j’avais toute ma liberté de mouvement, c’était appréciable.

Je gloussais légèrement, lorsque Bart parla de venir nous voir en session acoustique. Je posais ma main droite sur mon visage, tentant de cacher mon amusement d’une certaine façon, mais c’était peine perdue. Autant contenir un peu le rire. Mais imaginer le groupe en session acoustique était particulièrement drôle. Ce n’était pas trop de notre genre. C’était aussi beaucoup trop calme pour les jumeaux, qui ressemblaient vaguement à un duo de piles électriques une fois sur scène. Galvanisés de la sorte par le public, ils ne tenaient pas en place. Bien sûr, ça nous arrivait pour une ou deux chansons sur certains concerts, c’était un autre charme, mais pas pour un concert complet. Même en répétition, nous étions toujours branchés bien fort histoire d’avoir le rendu officiel.

« Je donnerais cher pour nous voir en prestation acoustique. Si on s’y essaye, Je vous ferais parvenir des invitations. »

Oui, idée réellement amusante. Finalement, la conversation vira sur mes obligations professionnelles parfois stressantes et même si certaines choses étaient pour le moins difficiles pour moi, elles allaient avec le métier. Évidemment jusqu’à une certaine limite, et même si Wolf mettait un point d’honneur à me faire participer aux séances de signatures d’autographes, il était en total accord avec mon besoin de garder un peu de distance de sécurité pour moi, et de ne pas accepter le contact physique. Plus encore, Klaus et lui veillaient à ce que ce soit respecté par les fans, n’hésitant pas à intervenir. Mais je n’y pouvais rien, ces situations demeuraient une forte source de stress de mon côté.

« Wolf demande qu’on participe tous aux dédicaces, jusque là je n’ai pas d’autre choix que d’y aller, ça c’est partie intégrante du job. Par contre j’ai le droit de refuser tout contact, il est en accord avec ça, et je peux clairement compter sur lui pour m’aider à faire respecter mon besoin d’espace, d’ailleurs Klaus également, les jumeaux sont vraiment très attentifs et réactifs pour me permettre de faire ça le plus sécuritairement possible. C’est … Compliqué, même si ça va déjà mieux. Je sais que j’ai choisi un métier qui n’est pas du tout en accord avec mon passé et ce qui en découle, mais j’aime vraiment ce que je fais. Alors la contrepartie c’est juste d’aller signer des autographes, ce qu’on me demande ça s’arrête là. Sur le papier, c’est dans mes cordes, de plus en plus. Le problème se sont … Les autres. Enfin, certains, mais c’est impossible de savoir qui au premier coup d’œil … »

Le genre humain me terrifiait parfois. Bien évidemment, tout le monde ne me voulait pas de mal, beaucoup étaient même bienveillants, et peut-être même que si certains qui étaient un peu moins conciliants savaient mon passé, tout le monde se montrerait différent … Mais ce n’était pas une solution. Pas plus que de me shooter aux anxiolytiques. Je préférais de loin chercher plutôt d’autres solutions. J’eus un sourire doux et délicat avant de replacer une mèche de ma crinière de feu derrière mon oreille d’un mouvement mécanique.

« Oui, la musique me calme. La cuisine aussi. Parler avec les membres du groupe aussi pendant les déplacements. Enfin, ça dépend qui et ça dépend quand, les jours de concert c’est parfois plus intense avec les uns ou les autres, donc je jauge un peu l’humeur et j’évite les conflits. On a parfois assez le trac avant de monter sur scène pour ne pas en remettre une couche avec une dispute bête. Mais on se connaît bien, ça ne nous arrive pour ainsi dire jamais. »

C’était vrai, tout le monde y mettait du sien. Malgré des nerfs parfois en pelote, personne ne provoquait personne Nous n’essayions pas d’aller chercher la petite bête. De toute façon, c’était dans ma nature de chercher à éviter le conflit au maximum. Si avant je battais en retraite y compris lorsque je n’étais pas en tort, j’étais aujourd’hui au moins capable d’affronter le conflit si jamais il n’avait pas été préalablement désamorcé. J’avais de plus en plus de caractère. Ce n’était pas encore énorme, certes, mais c’était toujours plus qu’avant. Une jeune femme plus sûre, plus assumée, plus capable de se prioriser. Plein d’avancements, un petit pas à la fois. L’autre principal pas en avant, c’était le contact.

« Je suis … Contente ? C’est un poids en moins quand je côtoie mes proches. Ils n’ont plus autant besoin de marcher sur des œufs. C’est parfois … contre-nature pour eux de garder une telle distance avec moi. Ils le respectent, ils n’essayent pas de forcer, mais je les voyais souvent esquisser un geste et se raviser, avant. Maintenant, mes interactions ont pu devenir un peu plus naturelles. C’est … agréable. Puis avec les inconnus … Je n’aime toujours pas le contact mais quand les lieux ne sont pas trop blindés je commence à être capable de les affronter. Les lieux bondés ça me demande encore beaucoup d’énergie. Je voudrais juste supporter ça, et je crois que ça me conviendrait. Juste pouvoir vivre presque normalement. Ce serait tellement agréable. »

J’eus un soupir. D’une part j’étais résignée parce que j’avais l’impression que certaines choses étaient imprimées si loin dans ma chair que c’était douloureux psychologiquement. D’une autre, j’avais aussi besoin d’espérer que ça s’améliorerait. Je ne voulais pas un miracle, je ne voulais pas que ça change du tout au tout en un claquement de doigts. Je voulais juste que ça s’améliore encore suffisamment pour que je puisse faire des rencontres, vivre un peu moins recluse. Pour ce qui était des relations amoureuses, j’avais complètement abandonné l’idée. Ça, ça serait sûrement insurmontable. Faire des rencontres, c’était encore tellement compliqué. La preuve, dans les groupes de parole.

« J’essaye. J’essaye d’aller vers les autres, mais certains jours, c’est très compliqué, pour moi. Il y a des jours où je n’ai pas l’énergie d’aller à l’encontre de ma nature. Si je m’écoutais, je continuerais de me faire oublier sur ma chaise, mais ça ne m’aide pas à avancer, alors déjà je m’oblige à parler devant les autres, et ça c’est étonnamment difficile quand on sait que je monte sur scène devant des milliers de personne … Parfois en fin de séance j’essaye d’aller me présenter un peu plus, mais ça n’est pas toujours facile. Par contre j’essaye d’entretenir les liens que j’ai commencé à tisser à chaque séance. Il y a des personnes que je vois toujours en dehors des groupes. » Je pris un biscuits. « En tous cas ça me fait du bien de continuer les groupes. J’ai toujours l’impression que ma parole peut aider les autres, c’est ce qui me donne la force de parler de certaines choses. Mais il y a toujours des sujets dont je n’arrive plus à parler à voix haute, parce que je veux vraiment que ça appartienne au passé. Je sais que ne pas en parler ne va pas le faire disparaître, mais continuer d’en parler non plus, donc je préfère clairement avancer droit devant maintenant. J’ignore si c’est la bonne solution mais c’est celle qui me convient pour le moment, ça m’enlève un poids d’aller au groupe en sachant que je ne vais pas devoir m’obliger à aborder certains sujets. Ce n’est pas … Enfin, je veux dire, je n’ai plus honte de ce qu’il s’est passé, je sais que je n’y suis pour rien maintenant, mais je ne veux plus des regards de pitié des gens. Ça ne m’aide pas à m’épanouir, qu’on me regarde sans arrêt comme un objet fragile à deux doigts de se briser … Je voudrais que les gens voient qui je suis en train de devenir, pas juste mon passé. »

Ce n’était pas si simple. Mais c’était ce qu’il me fallait, au fond. Enfin, c’était l’impression que j’avais. J’avais peut-être tort, mais c’était ce qui m’était le plus confortable actuellement, ce qui me permettait de me concentrer un peu plus sur d’autres choses qu’il fallait que je puisse faire évoluer.

« Biscuits & papote »

@Keziah D. Blackthorne & @Bartholomew Caldwell

Seattle – 21 mars 2024 – rendez-vous de 16h30

Au moins j'avais réussi à faire rire la demoiselle avec l'histoire de la session acoustique - quand bien même ma demande était tout à fait sérieuse. Ils ne pensaient pas aux personnes comme moi qui ne pouvait pas supporter autant de décibels. J'écoutais principalement des musiques calmes voir zen pour ne pas finir au fond d'un tunnel. Même si je m'étais remis du coma dans lequel j'avais été il y avait quelques années maintenant, des séquelles étaient toujours présentes sans forcément que cela se voit. Entre mon hypersomnie et mon cerveau qui me disait parfois de manière violente que c'était l'heure d'aller se coucher ou de prendre un anti-douleur. C'était compliqué. Sans compter les petits "bugs" que j'avais de temps en temps, rare toutefois mais il pouvait arriver que quelqu'un me parle et que sans le faire exprès je n'ai rien écouté de la conversation. Mon ex-femme en avait eu marre aussi de cela, je supposais que ce n'était pas facile à vivre. En plus de tout le reste. Je n'avais plus été le Bart qu'elle avait épousé après mon accident de voiture et je ne pouvais décemment pas lui en vouloir d'avoir préféré me laisser pour tourner la page. En entendant cette histoire on me dirait certainement que j'étais trop sympa, que je devrais détester mon ex mais la haine n'avait jamais fait partie de moi et je ne comptais pas commencer à le faire. J'avais toujours avancé dans ma vie avec philosophie et c'était pour cette raison que j'avais fait des études de psychologie pour aider les gens paumés à retrouver le chemin. Qu'il soit fait de pavés ou de terre, le but était de retourner à bon port.

- J'espère que tu n'oublieras pas ma requête

Déclarais-je avec une petite moue, parce que tout de même je voulais entendre ce que Keziah faisait avec son groupe. Pas seulement sur des vidéos mais aussi en vrai. J'avais la chance d'avoir cette talentueuse musicienne dans mon cabinet, du moins malheureusement pour elle, elle avait dû tourner la poignée de ma porte pour demander de l'aide.

- C'est bien que les membres de groupe prennent en considération ce que tu ressens. Cela te permet d'avancer à ton rythme mine de rien. Tu te surpasses toi-même chaque jour, je ne sais pas si tu t'en rends compte ? Pour une personne qui a du mal avec le contact physique avec des étrangers, arriver à être entouré d'inconnus et d'établir un minimum de contact ce n'est pas rien.

Même si signer des autographes faisaient partie de son job, elle pourrait très bien se débrouiller pour le faire en se cachant derrière un panneau. Keziah était bien plus forte qu'elle ne l'imaginait et la musique en était bénéfiquement la pause. C'était sûr que ce n'était pas du jour au lendemain qu'elle allait serrer des mains mais c'était déjà un excellent pas vers la guérison de ses blessures internes. Je lui témoignais d'ailleurs le fait que j'étais fier de son avancé. De son point de vue, ce n’était peut-être pas grand-chose mais pour le psy que j'étais, c'était des résultats encouragements et j'espérais bien la voir continuer ainsi. Il y avait des patients qui allaient bien moins vite qu'elle, traumatisé eux aussi par leur passé. Chacun avançait à son rythme et j'étais là évidemment, pour leur tenir la main et les aider à voler ensuite de leur propres ailes une fois prêts.

- Je suis content d'entendre tout ça, savoir que tu étais aussi bien entouré et qu'ils ont fait preuve de patience cela a tout de même permis de mettre sans le voir un climat de confiance et c'est pour cette raison aussi que tu as pu t'ouvrir enfin à eux. J'ai confiance qu'un jour tu pourras faire face à une salle bondée sans cligner des yeux. Mais pour l'instant, habitue-toi à un environnement moins lourd.

La conseillais-je avec un sourire. Il ne fallait pas non plus être trop brusque, au risque de faire des pas en arrières. Keziah avait encore du temps devant elle, alors il fallait le prendre. Je la questionnais ensuite sur le groupe de parole et comment cela se passait avec les autres membres.

- C'est bien de fournir des efforts

Je n'allai pas dire le contraire, Keziah en faisait beaucoup. Parler devant des gens c'était différent de gratter sa basse devant un public. Elle était en quelque sorte caché derrière son instrument alors que dans ce groupe, elle était juste Keziah avec ses blessures. Il était toutefois fâcheux, qu'elle ne parle pas de ses problèmes. Je ne lui demandais pas de se confier à la première personne venue. Je sais qu'elle cherche à oublier son passé mais ne pas en parler, n'était pas vraiment la bonne méthode pour moi.

- Toute victime ne veut évidemment pas qu'on la voit comme telle, les yeux remplis de pitié. Mais garder pour toi ce que tu as subis, ce qui fait qui tu es devenu aujourd'hui, ce n'est pas bon non plus. Je ne veux pas t'obliger à en parler dans ton groupe mais tu pourrais l'écrire, comme une lettre ou une chanson pourquoi pas ? Faire sortir de toi, ce que tu ressens même si tu penses que ce n'est pas grand-chose. Ça peut être aussi une pensée qui n'a rien à voir avec ton passé. Comme la mamie qui a mis 3 heures à déposer ses courses à la caisse alors que tu étais pressé donnant naissance à une frustration. Ce genre de chose banale mais qui accumulé peut se transformer en quelque chose de plus compliqué.

Je ne savais pas si j'étais très clair dans ce que je racontais mais en tous les cas, je croquais à nouveau dans l'un de ces délicieux biscuits. J'avais bien besoin d'énergie pour finir ma journée sans m'endormir sur mon fauteuil.

« Biscuits & papote »

@Keziah D. Blackthorne & @Bartholomew Caldwell

Seattle – 21 mars 2024 – rendez-vous de 16h30

« Promis, si on place une date acoustique, je vous en fais part. Mais je ne pense pas que ce soit à l’ordre du jour pour le moment, vu les prochains projets du groupe. »

Ce qui était vrai. Une année encore, nous étions dans l’optique d’une grosse tournée, qui était encore bien plus lucrative que l’année précédente qui avait pourtant déjà ressemblé à l’apogée de notre carrière. Mais non, nous montions encore, et même s’il y avait de quoi avoir la tête qui tourne, je faisais mon possible pour garder mes deux pieds bien ancrés sur terre. La folie des grandeurs, ce n’était pas moi, et avec le bagage émotionnel que je me baladais, ce n’était peut-être pas l’idée du siècle, mais j’allais faire ce que je pouvais pour rester vivante et efficace à mon poste. Car si le groupe était une famille bienveillante avec moi, comme je venais de le dire, ça restait, au-delà de ma passion, mon job, et je ne pouvais pas me permettre de tout faire capoter au risque de m’en vouloir mortellement par la suite.

« Ils sont fantastiques, pour ça. Ils sont patients et compréhensifs et je me dis que sans eux je ne pourrais pas le faire. » J’eus un sourire. « D’un jour à l’autre, j’ai beaucoup de mal à voir l’avancement, mais c’est vrai que quand je regarde en arrière, il y a même seulement un an ou deux, je vois vraiment la différence, et ça me fait du bien. Je crois que sans ça j’aurais l’impression d’être un cas désespéré et ça me démotiverait. Parce que mine de rien ces efforts sont épuisants, à la longue. »

Il serait sûrement plus simple de faire l’autruche et de refuser de sortir un orteil de chez moi, surtout maintenant que j’avais plus d’argent qu’il n’en fallait pour vivre correctement, mais ce n’était pas moi. Je commençais doucement à montrer une force de caractère qui me surprenait moi-même, et ce n’était pas pour me déplaire, c’était seulement … étrange et dépaysant. Mais pour ce qui était du caractère j’étais à très bonne école, avec les caractères forts et affirmés que je côtoyais dans le groupe. Ils déteignaient tous petit à petit sur moi pour m’aider à me forger ma nouvelle personnalité, sans même en avoir réellement conscience, sans vraiment chercher à le faire.

« Sincèrement, j’y vais doucement. Je suis fatiguée de me battre continuellement contre mon instinct, donc j’essaye de plus en plus de me mettre en confort avant d’essayer de gravir la marche suivante. »

Ce qui n’était pas un mal, clairement, et j’en étais consciente. Aller trop vite c’était le risque de rater une marche et de redescendre violemment de plusieurs étages, si je pouvais me permettre l’analogie. Bien évidemment, je ne me complaisais pas dans la facilité, ce n’était pas moi, mais par exemple quand je voulais faire du shopping c’était en semaine pendant les horaires de bureau, ou pas les week-ends ou autres jours d’offres spéciales, juste pour limiter l’affluence, tout en faisant quand même ce que j’avais prévu. De la même façon, si j’avais envie d’aller boire un verre, je le faisais avec quelqu’un qui me donnait une sensation de sécurité, pas seule, pour déjà me faciliter un peu la vie, mais progressivement je proposais aussi des endroits plus à la mode, plus remplis. J’évitais encore les très grosses affluences, mais j’avais essayé de reprendre une vie la plus normale possible.

Normale à l’exception près que j’allais toujours en groupe de soutien. J’aimais assez être là pour les autres. Parler, pouvoir faire profiter de mon expérience personnelle sur certaines choses. Bien sûr, aller plus vers les autres, les rencontrer personnellement après les séances était parfois plus compliqué, et certains jours je n’en avais tout simplement pas le courage, mais dans le cercle, c’était toujours facile. J’essayais, je m’astreignais à des efforts, mais j’avais aussi atteint mes limites pour certaines choses, comme par exemple rentrer concrètement dans le vif de mon sujet. Placer des mots sur ce qui m’était arrivé, ça ne me plaisait pas, et quad j’avais vu la réaction des gens que je connaissais, ça ne me donnait pas envie d’en parler plus.

« Je trouve qu’il y a déjà bien asse de personnes qui savent … Les jumeaux le savent, Sven le sait, un millier de personnes qui ont lu les nouvelles à l’époque le savent … ça fait déjà du monde. Et franchement,  j’ai pas envie de poser ça sur la conscience de quelqu’un d’autre. Les gens sont mal à l’aise avec ces informations, et ils finissent par ne plus savoir quoi en faire ni comment réagir face à moi, et je déteste ça. Je ne peux pas leur en vouloir, je sais que ce que j’ai vécu est de l’ordre de l’inimaginable pour beaucoup, c’est le genre de fait divers glauque qui finit dans une émission. Ils réagissent comme ils peuvent, et ils se montrent un million de fois plus prévenants après. » Je haussais les épaules. J’essayais de ne pas paraître braquée, mais pour le moment je n’avais pas envie de revoir ma copie. « Je n’ai aucun mal à parler du reste. Parler de moi, de mon quotidien, ça ne pose absolument aucun souci, même si c’est une sacrée casserole comme d’avoir fui un restaurant en y oubliant mon sac à main et mon téléphone. Parler de comment ça se passait au lycée non plus d’ailleurs, ou même de comment j’ai appris le violon, enfin il y a plein de choses qu’on me demande souvent et qui ne me posent pas de souci. Les gens savent que j’ai un mauvais passif avec mes parents et qu’ils sont en prison à cause de ça, je ne le cache pas si la question se pose. » Par réflexe, je frottais de ma main droite l’intérieur de mon avant-bras gauche. « Il n’y a que le détail des sévices, dont je ne veux pas parler. Je ne veux pas non plus les écrire ou n’importe quoi. J’ai assez de marques sur ma peau pour me rappeler tous les jours tout ce à quoi j’ai survécu et pourquoi je ne dois pas le laisser prendre une emprise sur moi. Les gens n’ont pas besoin de savoir ce qui me colle à la peau. »

Et l’avait marquée à vie. Je portais mes cicatrices sans les avoir recouvertes. J’aurais pu me faire tatouer pour les camoufler, mais je ne voulais pas. Parce que je préférais affronter chaque jour la réalité de mon corps. Toutes ces marques représentaient mon passé, et si durant des années elles m’avaient dégoûté quand je me regardais dans la glace, aujourd’hui je pouvais les affronter du regard sans sourciller, sans sensation de dégoût. J’avais encore beaucoup de mal à les exposer clairement aux yeux de tous, par exemple j’évitais soigneusement de me retrouver en maillot de bain – en plus c’était inconfortable pour moi simplement car je n’aimais pas attirer l’attention, de base – mais je n’hésitais pas à porte un tee-shirt à manches courtes ou un débardeur si l’envie m’en prenait, et tant pis si mes avant-bras tailladés étaient visibles. Je pouvais assumer que je m’étais fait du mal, je pouvais en parler. Mais je n’avais aucune envie de déclencher de la pitié dans les yeux des gens en face de moi. Je n’avais plus honte, je ne me sentais plus faible et sale sous leur regard, mais je n’étais pas prête à porter mes blessures comme un étendard pour autant.