FLASHBACK — 31 décembre 2023

Je ne sais pas pourquoi j’ai accepté de venir à cette fête du nouvel an, alors que je sais très bien que pendant que tout le monde s’amusera, je serais là, à attendre je ne sais quoi, dans mon coin. Une copine m’a dit que terminer l’année sur une note positive me ferait le plus grand bien. Après tout, Gabrielle et moi, c’est définitivement fini. Le divorce est prononcé depuis fin septembre alors y’a plus rien qui me raccroche à elle. D’ailleurs, elle est venue récupérer ses dernières affaires début octobre et ça fait deux mois, il est temps que je la chasse de ma tête, que je ne regarde plus en arrière, que je laisse cette histoire dans un de mes nombreux placards de choses que je regrette et qui me font souffrir, parce que mine de rien, même si ça fait deux ans qu’on ne vit plus ensemble, elle me manque… Voilà, elle me manque quand même et je la déteste tout autant. Je la hais pour ce qu’elle m’a fait subir et j’ai beau me convaincre que ce n’est pas ma faute, parfois je crois sincèrement que j’ai déclenché ce putain de raz-de-marée !!!

— Aller Kendall, c’est pas la mer à boire après tout. Une heure. Tu restes là une toute petite heure, histoire de signaler ta présence et après tu t’en vas, ni vu, ni connu.

Je souffle. Devant le miroir de ma salle de bain, je tente de faire le point. Je mets un temps fou à me décider, d’y aller ou non à cette fichue soirée de la Saint Sylvestre. En vrai, j’ai surtout la tête ailleurs. Il y a quelques jours, j’étais allongée sur la table d’auscultation de mon médecin, en train de regarder le plafond et de me dire, pourvu que ça fonctionne cette fois-ci. C’est un peu ma dernière chance, cette tentative. Avant, c’était avec Gaby que je voyais mon avenir. Avec une ribambelle de bébés qui nous ferait tourner bourrique mais à présent, cette vision de l’avenir se trouve à des années lumières de ce que j’ai ou de ce que j’espère. Maintenant, j’espère juste que cette tentative m’offre ce dernier espoir de devenir mère. J’ai même pensé à rester couchée pour les deux prochaines semaines, juste pour mettre toutes les chances de mon côté. Après, je pense au fait que c’est pas en restant vautrée sur le canapé à m’enfiler plusieurs séries sur Netflix en attendant de faire mon test de grossesse. Je n’ai jamais été casanière, je ne peux pas commencer à le devenir… Tout le monde finirait par s’inquiéter. Je dois continuer de vivre normalement, c’est ce que me disait mon gynéco, de toute manière. Travailler, sortir, m’amuser, faire mon épicerie, etc. Faire comme si cette insémination n’avait pas eu lieu.  Du coup, je décide de me préparer pour cette soirée. Je suis en retard, bien entendu. Je suis en retard parce que j’ai eu du mal à choisir ma robe. Je ne veux pas être trop habillée mais suffisamment pour être à l’aise. En choisissant celle-ci, je me regarde une dernière fois, avant de quitter l’appartement.

Pendant la soirée, je me fais toute petite. Je zigzague entre tous ces invités. Je ne pensais pas qu’il y en aurait autant. Je pensais sincèrement qu’on serait en petit comité mais visiblement, le bouche à oreille à trop bien fonctionné et j’ai l’impression d’être une sardine dans sa boite de conserve. On me donne une coupe de champagne, que je préfère ne pas boire, vu ma “potentielle condition”. J'opte pour un jus d’orange mais quand je porte le verre à mes lèvres, l'odeur du rhum me pique le nez. Bon… J’crois que j’vais m’abstenir de liquide ce soir… Soudain, mon regard se pose sur une personne dont le visage continue de me hanter. Pas tous les jours, mais quelques fois. Malgré les quelques personnes entre nous, je prends le temps de l’observer, de le détailler. Il n’a pas trop changé toutes ces années… Sauf ses cheveux, qui sont plus courts. Beaucoup plus court d’ailleurs. Quand son regard rencontre le mien, je suis prise de panique et décide de lui tourner le dos en espérant qu’il ne l'ait pas reconnue. Alors je m’éloigne à l'autre bout de la pièce, et je passe clairement ma soirée à l’éviter.

En réalité, je ne saurais quoi lui dire. Après tout, je ne l’ai pas vu depuis tellement longtemps. Quand je l’ai invité à mon mariage, je ne pensais pas qu’il refuserait. Enfin, je ne l’ai pas vu, alors je suppose qu’il n’avait pas envie d’être là. Lukas a compté beaucoup dans ma vie, et l’avoir à mes côtés ce jour-là, c'était pour moi une façon de lui dire qu’il était important et en aucun cas je n’ai pensé que ça pourrait lui faire du mal. Avec le recul, c’est sans doute pour cela qu’il a décliné de manière silencieuse… J’arrive à voir l’heure sur une montre, d’un poignet que je ne connais pas. Vingt trois heures et dix minutes. Dans quarante minutes, une nouvelle année commence et j’espère qu’elle sera meilleure que la précédente. J’ai besoin qu’elle m’apporte tout le bonheur et la sérénité que je mérite enfin après toutes ces années de galère. Me poser et rêver un peu d’un avenir serein. C’est pas la Lune que je demande, n’est-ce pas ?? Alors, je décide de fuir, je m’avance vers la porte d’entrée sans regarder devant moi. Je cherche surtout à repérer mes hôtes pour qu’ils ne me voient pas m’en aller. Seulement, je suis stoppée pendant mes pas, parce que je heurte une personne. Mes mains sur le haut de son corps, en tournant la tête vers ma collision, je me rends compte qu’il s’agit de Lukas. Confuse, j’ose à peine soutenir son regard, mes joues rougissent… pourtant, j’ai rien bu. Absolument rien !!

— Je… je suis désolée… ahem… j’étais sur, ... sur le point de partir… pardon…

Oh la la, on est au summum de la gêne, là. J’ai envie d’être partout, mais pas là.
Lukas… il est toujours aussi… aussi… merde ! Arrête de le regarder comme si t'avais vu un fantôme, il va te trouver bizarre… remarque, j’ai sans doute l’air étrange. Une seconde avant, j’osais pas le regarder et là, on croirait que j’suis sur le point de le bouffer… c’est pas normal, hein ?
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FLASHBACK — 31 décembre 2024

Rien ne va en ce jour de réveillon.
Un dressing vide de vêtements. Le meuble était monté par son propriétaire tout récemment, il n’a pas pensé à racheter des habits supplémentaires. Ce n’était pas un besoin vital, selon lui.
Il avait l’habitude de gérer son argent pour sa famille, son équipe à la caserne et surtout les travaux dans sa maison et sur sa moto ou sa voiture.
Le dressing contenait plus d’uniformes de cérémonies, travails, joggings, jeans que de costumes. Des étagères remplies de kits de secours, draps de survies ou extincteurs qu’il n’a pas encore ranger dans la caserne.
Debout devant cet immense meuble, illuminé par les plafonniers réagissant au contact physique, Lukas semblait dépité. Il était invité à fêter la St Sylvestre chez ses voisins, mais il n’avait rien à se mettre sur le dos. À cette pensée, il se pinça les lèvres et sentit une boule se formant dans sa gorge.
Ego blessé, honte brillant dans son regard. Il se rendit compte qu’il avait vraiment besoin de sortir faire du shopping. Il n’allait pas demander de l’aide à sa mère, elle était âgée et ce n’était plus son rôle de lui donner des conseils vestimentaires. Elle serait même capable de lui acheter un nouveau costume pour « l’aider » financièrement, alors qu’il était largement bien payé pour se l’offrir lui-même. Le regard du pompier se glissa sur l’uniforme de cérémonie qu’il mettait uniquement lors d’évènements spéciaux. Il tendit la main pour le prendre.
« - Tu n’es pas sérieux ? » retentit une voix féminine sur le pas de la porte. « Tu ne vas pas porter ça ce soir ? »
« - Je n’ai rien à me mettre. » répondit-il à sa sœur, haussant les épaules. « J’aurai la classe…Au moins. »
« - Mais tu as un costume tout neuf qui t’attends dans ma chambre depuis des années ! » s’écria son interlocutrice en montrant la direction de sa chambre.
Lukas fronça les sourcils et laissa tomber sa main.
« - Non. Pas celui-là. »
« - Oh si ! Tu vas le porter ! Elle ne sera même pas là pour le voir de toutes façons ! Qu’est-ce que tu t’en fiches ? »
Elle a raison. ELLE ne sera pas là. Il avait droit de changer de chemin de vie puisqu’ELLE a refait sa vie sans lui. Il hocha la tête en croisant le regard de sa sœur.
« - Vendu. »

Ce costume bleu marine et cette chemise en soie d’un bleu légèrement plus clair lui allaient à la perfection. Il avait pris le temps d’aller chez le coiffeur qui faisait office de barbier juste pour l’occasion. Petit plaisir pour le dernier de l’année.
« Ça coûte cher, je n’aurai pas dû », pensa-t-il.
Il jeta des regards autour de lui, la musique entraînant les jeunes femmes dont les robes tournoyaient en début de soirée. Désormais, tout le monde se trouvait serré comme des sardines. Lukas n’appréciait pas d’être collé à toutes sortes de personnes. Lui, étant de nature maniaque, il tenta de se frayer un chemin pour pouvoir respirer. Ce n’était vraiment pas sa tasse de thé, alors qu’il adore se rendre à des fêtes etc. Il n’était pas fan du manque d’espace et d’échange de transpiration et haleine fétides.
Un de ses anciens camarades de promotion de l’académie des pompiers l’interpella pour le présenter à sa femme. Lukas sourit grandement, lui offrit une poignée de main avant de lui faire une accolade de bon cœur. Les deux pompiers discutèrent de leur caserne, les équipes, les différents statuts qu’il possédait. Lui, la fierté se lisant dans son regard vert émeraude lorsqu’il expliqua qu’il était si heureux d’être capitaine de la Station 25. Fier de son équipe de jeunots qu’il taquinait sans arrêts. Chacun était différent et il les accepter, les aider dans leurs démarches professionnelles comme personnelles. Il s’épanouissait dans son métier de pompier et ce grâce à ces jeunes soldats du feu et de ses ambulanciers.

Soudain, il sentit étrangement un regard sur lui. Il tourna légèrement la tête, profitant de l’occasion que son ancien ami embrassé son épouse pour remarquer la personne qui la fixait depuis tout ce temps. Il faillit lâcher son verre. Non. Il ne bougeait pas. Il ne s’attendait pas à ce qu’ELLE soit là, à le regarder vêtu dans ce costume dédié à son mariage.
La fierté disparut laissant place à l’incompréhension, il chercha du regard la compagne de son ex petite amie, mais elle était absente. Il fronça les sourcils avant de déposer son regard sur une place vide. ELLE a disparu dans la foule.
Il cligna des paupières. L’alcool ? Il n’était qu’à son second verre. Il faisait attention à sa consommation depuis qu’il était pompier…

Un rêve éveillé ? Un mirage ? La folie ? La réalité, mais elle s’est enfuie comme Cendrillon ?
Lukas tenta de s’amuser, malgré ses songes. Les vieux démons refirent surface, mais il ne laissa rien paraître. Il canalisa son attention à tous ses interlocuteurs afin de pouvoir profiter de chaque minute de la soirée.
23h10 s’annonça sur le téléphone portable du capitaine des pompiers, il le rangea dans sa poche de pantalon après avoir envoyé un SMS au lieutenant qu’il le remplacer cette nuit. Inquiet pour son équipe, il voulait s’enfuir pour les rejoindre à vaincre n’importe quelle situation. Il regrettait de les avoir laissés, mais il avait réellement besoin de repos ces derniers temps…
À l’instant où il tourna les talons pour repartir dans la salle, aussi chaude que la braise, une personne le heurta. Il l’attrapa sans difficulté par ses bras avec douceur. La jeune femme qui venait de lui rentrer dedans était vêtue d’une robe grise, courte et d’une paire de collants noires. L’étonnement se lut sur son visage lorsqu’il la reconnut.
ELLE était vraiment ici. Il ne s’y attendait pas, il pensait réellement qu’il s’était trompé. Il serra les dents et la lâcha avant de reculer afin de lui laisser un peu d’espace.
« - Ce n’est rien. » répondit-il normalement.
Professionnel, il n’allait pas défaillir devant elle pas comme la dernière fois où il allait pleurer de rage lorsqu’elle a mit fin à leur relation.
« - Mais ça va ? Tu n’as rien ? » lui demanda-t-il.
Kendall était plus que gênée, il le savait que trop bien. C’était l’une des facettes qu’il connaissait d’elle, mais le temps a changé… Pas pour lui, ni pour son cœur. Il fourra sa main dans sa poche de pantalon et sortit son téléphone portable.
« - Tu veux que j’appelle un taxi pour toi et la vieille morue ? »


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FLASHBACK — 31 décembre 2023

Non, je n’ai pas rêvé.
ça aurait pu, oui. Mais non.
C’est bien Lukas, que j’ai vu, à l’autre bout de la pièce. Dans cette foule. Et malgré le brouhaha de mon environnement, je n’entends rien, ou presque. Juste mon regard qui retrouve le sien, pendant quelques secondes, après plusieurs années… C’est étrange comment notre subconscient tente de nous protéger, quand des sentiments que l’on croyait disparu pour toujours refont surface, comme ça, en un seul claquement de doigts. C’est pour cette désagréable sensation, que je n’ai pas pu aller le voir. C’est pour cette simple bonne raison que j’ai fui : je pensais avoir tourné la page. Il n’a fallu qu’une demi-seconde pour que tout remonte à la surface. Tout l’amour que j’ai pu lui porter, remonte, me réchauffe le corps… me brûle ensuite le cœur.

Non, je n’en ai pas le droit. Je ne peux pas éprouver encore quelque chose pour lui, pas après tout ce temps !!! Ce ne serait pas juste pour moi, et encore moins pour Lukas. De plus, je ne sais pas s’il a refait sa vie, depuis le temps ? Est-ce qu’il a une femme ? Des enfants ? … Un chien ? … Je comprendrais qu’il aurait refait sa vie. Après tout, j’ai tenté de le faire de mon côté, avec Gaby. On a eu de très bons moments, je ne peux ni le nier, ni cracher dessus parce que malgré tout, j’ai eu droit au bonheur. Malheureusement, il n’a pas duré aussi longtemps que je l’espérais. Quand on se marie avec la personne qu’on aime, c’est pour toute la vie, en principe. Pour le meilleur, mais aussi le pire. Et c’est dans le pire de notre histoire, que Gabrielle est partie. Je n’y peux rien, ce sont des choses qui arrivent. Elle m’a brisé le cœur, j’essaie de le recoller, avec ce que j’ai sous la main et ce n’est franchement pas un grand succès.

Il fût un temps, je croyais que je me marierai avec Lukas. Qu’on achèterait  une belle maison, ici, à Seattle et qu’on aurait des enfants. Il fût un temps, on parlait de ça, lui et moi. Enfin, surtout moi, je dois l’admettre. Je ne sais pas vraiment s’il me disait oui pour me faire plaisir ou si c’est ce qu’il avait vraiment envie ? En même temps, quand on a dix-huit ou dix-neuf ans, on ne songe pas spécialement au mariage et aux bébés. C’est surtout pour faire flipper. Alors peut-être que, dans un sens, il a pris peur ? Va savoir… Sur les derniers temps, on ne communiquait plus tellement, alors connaître toutes ses pensées, c’était encore moins envisageable pour moi. Du coup, j’ai sans doute idéalisé notre avenir et placé notre histoire d’amour sur un piédestal, mais je l’ai aimé. Oh oui, je l’ai aimé profondément.

Est-ce que je l’aime encore aujourd’hui ? J’aimerai vous répondre avec certitude mais je l’ignore. En fait, je ne peux l’affirmer à cent pour cent, mais une chose est sûre, c’est que sa présence me trouble, me fait réagir de façon puérile ; me planquer. J’ai plus de trente-cinq ans et j’exprime le besoin vital de me cacher de lui. Mon premier amour. Dans le fond, c’est sans doute la meilleure raison qui soit, à l’éviter. Le fait que ce ne soit pas un ex-petit ami ordinaire me rend complètement fébrile. Je n’aime pas me sentir vulnérable, parce que ça veut dire que je ne contrôle rien et je veux pouvoir contrôler ma vie, mes pensées, mes émotions. Seulement, quand je décide de partir et que je le bouscule, j’ai l’impression que l’univers, ou bien ce foutu Karma, se joue de moi. Pire encore, qu’il prend plaisir à me voir si démunie face à un Lukas très… très élégant. Et en plus, il sent toujours aussi bon ! Son parfum… cette note épicée… hum, je la connais. Elle ne m’est pas du tout inconnue…

Ok Kendall, ressaisis toi !!

La pression qu’il m’offre sur mon bras me semble pas du tout dérangeante. Au contraire, en plongeant mon regard dans le sien, je me souviens de la douceur de ses doigts sur moi et…

BON SANG, ARRÊTE !!!!

Il faut que je m’en aille. Je ne sais pas du tout ce qui me prend. ça ne… ça ne me ressemble pas. Mais alors là, pas du tout… mais il est tellement….

J’inspire profondément. Fait un signe de tête quand il me demande si je vais bien. Il m’a lâchée, à présent. J’observe son bras retrouver la position le long de son corps.

— Oui oui, ça va, je…

Je fronce ensuite les sourcils à sa dernière remarque. Morue ? J’ai tout de suite compris de qui il parlait. Je peux l’accompagner avec d’autres noms d’oiseaux, ou de poissons (visiblement) pour lui montrer qu’elle me sort par les trous de nez, à moi aussi !!! Et oui Lukas, à présent, tu n’es plus le seul à détester cette femme. Pour… à peu près les mêmes points ! Je me racle la gorge, réajuste ma robe courte, et m’essuie les mains sur mes cuisses. Aaaah c’est qu’elles sont moites et c’est désagréable. Lukas Swan te rend nerveuse, Kendall ! Oui, et pas qu’un peu.

— Non ça ira. Je suis venue avec ma voiture, et pas avec elle… Si ça t’intéresse de le savoir… Tu peux desserrer la mâchoire, et les poings… aussi…

Je lui adresse un léger sourire, tout en passant ma main dans mes cheveux. Il fait chaud, tout d’un coup, nan ? Où c’est moi qui produit trop d’hyperhidrose ? Est-ce qu’on lance les questions banales immédiatement histoire de centrer le malaise sur autre chose ou… ?


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La protection émotionnelle s’installa peu à peu chez Lukas.
Il n’avait pas le droit de laisser transparaître ses émotions. L’empathie qu’il a dû acquérir au fil des années, à tenter de comprendre les autres sans toujours devoir se mettre en avant. Parfois, le naturel revenait au galop seulement en dehors des heures de travail. C’est une bonne chose de vivre pour son métier, son équipe qui était sa seconde famille. Il le sait. Il devient bon de jour en jour et ça, il est toujours reconnaissant vis-à-vis de Kendall. Si elle ne l’avait pas largué en 2011, il serait sûrement dans la police ou au barreau des avocats… Elle serait malheureuse avec lui et réciproquement.
Lukas n’était pas tout à fait épanoui. Il a tenté maintes et maintes reprises de l’oublier, mais ELLE ne sortait jamais de sa tête. Kendall était la seule qui pouvait un minimum le comprendre, mais si elle n’avait pas toutes les armes pour l’affronter, elle se résigne à tout arrêter. C’est d’ailleurs, la mère de Lukas qui lui a expliqué les choses. Qu’il était difficile à cerner à cause de sa relation avec son père.
Le contact sur la peau de Kendall lui fit un drôle d’effet. Non, je vous vois venir bande de petits vicieux ! Je ne parle pas de cet effet-là ! Retournez au lit, dis dont ! Reprenons.
La nervosité prit possession de son regard, qu’il détourna en reculant. Gêné, il ne voulait pas lui montrer une seule fois. Il ferma une milliseconde les yeux, reprit sa respiration discrètement et leva son regard sur Kendall afin de s’assurer qu’elle aille bien. Il maîtrisait ses émotions, il savait comment y faire et il lui prouvait encore une fois. C’était un combat surhumain parce que cette femme pouvait le rendre fou d’un moment ou un autre.  

« - Tant mieux, c’est le principal de savoir que tu ailles bien. »

Et voilà qu’il remet sa casquette de pompier professionnel ! Lukas sortit son téléphone pour ouvrir l’application UBER. Hors de question de laisser, Kendall partir dans un taxi bon marché. Quitte à ce qu’il lui paye le trajet. Il était responsable, à condition que l’autre mégère ne se trouve pas dans les parages. Elles se débrouilleront à elles deux.
Bah quoi ? Gabrielle a su séduire et embrasser Kendall pendant qu’elle était avec Lukas à l’époque de l’université. C’est elle qui a brisé son couple, pas seulement Lukas. Lukas en avait pleinement conscience. C’est à cause d’elle qu’il n’a pas pu voir Kendall à leur mariage ! Des regrets, il en avait, mais moins que de la rancune vis-à-vis de cette femme.
Téléphone à la main, il observa Kendall frottait ses mains sur ses cuisses. Il laissa son regard à cet endroit pendant quelques instants avant de secouer la tête. Reprends tes esprits, grand fou ! Ça ne va pas de regarder les cuisses de ton ex. TON EX ! Elle n’est plus à toi, c’est fini. Elle est mar… AH !
Qu’est-ce qu’elle vient de dire ?
On a entendu la même chose ? Lukas battit des cils deux fois et fronça des sourcils.

« - Elle bosse ce soir ? Ce n’est pas cool de te laisser toute seule. »

Franchise assurée.
À l’époque où ils étaient ensemble, il s’assurait toujours à l’accompagner à la porte et à l’attendre dix minutes avant qu’elle sorte quelque part. Il savait que Gabrielle et Kendall étaient copines comme cul et chemises parce que la fameuse Gabrielle la collait partout où elle allait. Parfois, ça mettait Lukas en furie parce qu’il en avait marre de voir Gabrielle avec eux. Mais quel gros bêta, il ne se doutait pas qu’elle courrait après sa petite amie de l’époque.
Il fourra son téléphone au fond de la poche tout comme ses mains et il laissa le passage à la porte d’entrée.

« - Ou alors», commença-t-il doucement laissant un petit blanc au passage, « si elle n’est pas là c’est que ça ne va pas entre vous… Et toi, depuis tout à l’heure, tu es toute seule dans cette soirée remplies de sardines… »

Dis dont Lukas, tu as envie de manger du poisson ou quoi ?!
Il lui rendit son petit sourire. Ce sourire timide, mais qui lui allait si bien. Ce sourire qu’elle seule à eu droit durant leur relation.

« - J’ai vu juste ? »



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FLASHBACK — 31 décembre 2023

Ne réponds pas à sa provocation, Kendall. Tout ce que Lukas désire, c’est juste cracher son venin, à propos de Gabrielle. Mais bon dieu, qu’est-ce qu’il est beau. Il n’a pas changé. Peut-être pris quelques rides sur le front, sans doute à force de le plisser, quand il se fâche ou… oui je n’ai pas oublié toutes les mimiques qu’il faisait lorsque nous étions ensemble. J’en reviens pas, qu’après toutes ces années, il soit là, juste devant moi. Je ne rêve pas, c’est sûr. Son contact tout à l’heure m’a prouvé le contraire. Avant d’épouser Gabrielle, j’ai toujours su qu’il l’avait en travers de la gorge, mais je pensais qu’avec les années, la rancœur se serait dissipée. Je l’ai même invité à mon mariage sans réellement savoir dans quel but. Je ne voulais pas le faire souffrir, ça au moins, j’en étais sûre. Le voir une dernière fois ? Le prendre dans mes bras, qui sait ? En tout cas, je sais qu’il n’est pas venu et peut-être que dans le fond, c’était la meilleure chose à faire. Je devais tirer un trait sur lui, une bonne fois pour toutes et arrêter de me sentir coupable d’être tombée amoureuse de Gabrielle. Je ne l’ai pas fait exprès, je ne l’ai pas cherché et si c’était à refaire et bien… Je crois que je me montrerai plus honnête avec Lukas, parce qu’il ne méritait pas une telle souffrance. On avait eu nos hauts et nos bas, en tant que couple, mais il était mon ami, avant tout cela. Je crois qu’on s’est aimés beaucoup trop jeune. On a brûlé les étapes, une à une, sans prendre le temps de grandir ensemble. On se voyait déjà ancré dans une vie d’adultes qui ne nous correspondait pas et c’est sans doute pour cette raison qu’on s’engueulait plus que nécessaire. C’est sans doute pour cette raison que j’ai fui, vers elle. Vers celle qui est devenue ma femme et que j’ai pourtant aimé à la folie.

Aujourd’hui, mes sentiments sont contradictoires. C’est une pagaille sans nom. Je ne pourrais jamais complètement l’oublier, elle, parce que nous avons partagé beaucoup de choses ensemble. Des moments de bonheur mais aussi des moments de peine. Je ne pourrais jamais oublier Lukas, parce qu’il a été mon premier amour et que mes sentiments pour lui sont encore vivaces que ça me fait mal à l’intérieur. Le voir se tenir devant moi est une vraie torture pour mon âme tourmentée. L’ambiance n’aide pas à me sortir ces idées de la tête. Entourée d’amis qui ne se cachent pas pour s’embrasser ou encore se prendre dans les bras, qui s’amusent sans penser à demain. La soirée est faite pour ça et moi, je m’ennuie. Je suis seule et je n’ai jamais regardé d’aussi près, l’un de mes plus gros échecs dans ma vie. Lukas a été le premier d’une longue succession d’échecs. Oui, le tout premier. C’est celui abîme l’âme, celui qui marque plus que les autres. C’est celui dont on ne veut pas continuellement se manger en pleine face ! Et voilà qu’il est juste là, avec son air désintéressé. On se regarde carrément dans le blanc des yeux, on laisse les minutes s’écouler et on ne fait plus attention au temps qui passe. Je ne réponds pas à ses provocations concernant mon ex-femme. Qu’est-ce que je pourrais bien lui dire, hein ? Qu’elle n’est plus avec moi depuis deux ans ? Qu’est-ce que ça changerait, au final ? Il me dirait « Je te l’avais dit » Quelque chose de ce genre… Non, je ne veux pas entendre ce genre de remarque piquante, je me sens suffisamment déprimée pour ce soir, alors que derrière nous, nos amis font la fête. Je soupire, entre ouvre la bouche pour lui avouer ce qu’il sait déjà, visiblement. Au moins, c’est dit, vite fait, bien fait. C’est pas ça l’adage ? Histoire de se débarrasser de cette gêne étouffante…

— Hééé, Kenny !

Ainsi, je sors de ma léthargie, tourne la tête vers l’hôtesse des lieux qui m’attrape la main et puis celle de Lukas, tout en déhanchant et nous tirant avec elle au milieu de la pièce. La malheureuse, vu l’alcool qu’elle a ingurgité, ce n’est plus parlé qu’elle fait, c’est nous beugler dans les oreilles. Oh, nos pauvres tympans !!!

— Veneeeeez, il est presque minuit, c’est le moment !!! Wouuuhouuuuuu !!!

Et là, j’entends le décompte qui commence… Dix… neuf… huit…

Je me tourne vers Lukas, qui est plus loin que tout à l’heure.

Sept… six… cinq…

Presque au ralenti, je sens qu’on s’accroche à moi, qu’on me prend dans les bras, qu’on m'incite à rejoindre les dernières secondes avant le commencement d’une nouvelle année que j’espère tellement mieux que la précédente. On peut dire que j’en ai baver, c’est vrai mais ce n’était pas pire année, à vrai dire. J’ai juste marqué un point final à mon histoire avec Gabrielle en apposant ma signature sur ce formulaire à la con qui consentait à approuver notre séparation. Deux fois plutôt qu’une, on avait plus rien à faire ensemble. Et c’était déjà fini depuis longtemps… Cette année s’est finalement achevée sur une notre positive, il y a quelques jours et je vais continuer à croiser les doigts pour que la chance soit avec moi, pour une fois.

Quatre… trois… deux…

— … un. Soufflais-je dans un murmure.

Les cris, l’éternel « Bonne année », les sifflements, le champagne, les confettis, les pétards et surtout les embrassades. Je passe de bras en bras, sans vraiment comprendre ce qu’il se passe. Je ne sais plus où donner de la tête, les baisers s’enchaînent les uns après les autres, tantôt sur les joues, tantôt sur les lèvres. Et puis, le feu d’artifice qu’on peut facilement entendre et voir depuis l’appartement grâce à de grandes baies vitrées.

Soudain, mon dos se heurte à une personne et en lui faisant face, je retrouve Lukas, tout aussi chamboulé. A-t-il, lui aussi, été ballotté de bras en bras ? Embrassé par de nombreux inconnus ? Qu’importe… Je pose ainsi ma main sur sa joue et le contact m'électrise presque instantanément, mon regard solidement accroché au sien, j’approche mon visage du sien et dépose mes lèvres sur les siennes, sentant une décharge si forte que mon cœur bat à tout rompre. Je n’avais plus ressenti cela depuis longtemps. Cette puissance, ce simple échange en apparence… Ceci ne ressemble en rien à ce que j’ai connu jusqu’à présent, pas même avec Lukas, auparavant. Cette explosion de saveurs, mélangée à la nostalgie de notre propre histoire, me bouleverse intérieurement. Je la compare à un feu d’artifice qui fusionne avec un orage violent. Mon être tout entier se sent pris au piège de cette bourrasque infernale. Et quand ce baiser prend fin, je compte jusqu'à trois, dans ma tête et rouvre les yeux, pour m'apercevoir que je suis contre lui. Je murmure :

— Bonne année, Lukas…


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FLASHBACK — 31 décembre 2023

C’est étrange que Gabrielle ne soit pas dans les parages, collée au train de la belle Kendall.
Lukas s’inquiétait pas mal pour la brune qui lui faisait face. Si Gabrielle s’est permise de briser le cœur de son ex, il lui ferait payer cher, très cher. Il ne se permettrait pas de s’amuser à draguer Kendall pour casser leur couple. Oh non, la tentation était belle et bien grande, mais il n’allait pas faire le coup qu’on lui a fait. Jamais.
Il était largement mieux que ça.
Par contre, il se pourrait qu’il lui fasse regretter, mais autrement que ce qu’il pourrait faire sur un homme. Non d’un coup de poing parce que ça ne se fait surtout pas, mais jouer dans la subtilité, lui titiller les nerfs et voir la colère briller dans son regard…Oh qu’il s’en réjouit d’avance !
L’espace entre lui et la porte était toujours présent, il ne bougea pas. Kendall pouvait partir en mode catimini, il barra le barrage aux autres invités s’il le fallait… Ou alors il raccompagnerait jusqu’à sa voiture pour s’assurer que tout se déroule bien. On ne sait jamais ce qu’il peut se passer dans les rues un soir de Nouvel An. Le monde n’est pas celui des Bisounours.

Elle ouvrit la bouche, prête à répondre quelque chose à la question de Lukas. Question franche, mais qui demande la vérité. La vraie. Celle qui casse la personne, qui instaure et brise à la fois le silence. Mais non.
Il a fallu que la voisine débarque pour s’emparer de la main de Kendall et de Lukas afin de les entraîner dans la fosse aux lions pour jouer aux démons de minuit. La tentation était là, Lukas qui frôle le bras de son premier amour.
Le cœur frappa contre sa poitrine, il le sentit ce sentiment qui revient à la charge. Les papillons dans le ventre comme parlent les adolescentes pour exprimer un stress généré par les hormones, les testostérones en ébullition. Lukas maîtrisait ses propres émotions, ne laissant rien transparaître derrière son grand sourire où il fit des accolades à des collègues de promo, d’autres casernes ou brigades. Il allait voir ses voisins et leur fit la bise avant même de devoir le faire à minuit, il comptait en même temps.
Ce n’est pas parce qu’un fantôme ressurgit du passé qu’il ne devait pas profiter de sa soirée !


Il continua à faire la bise en gueulant dans les oreilles des pauvres personnes qu’il embrassait sur les joues. Non pas la bouche, c’est dégoûtant. C’est fait pour les personnes consentantes pour jouer à la victime et au pompier avec lui…Non pas dans un caniveau bande de cochons ! DANS UN LIT, QUAND MÊME HEIN !


Et ça y est.
C’est arrivé.
La grande vague s’annonça effroyables, morues comme thons arrivèrent sur Lukas pour l’embrasser et il lutta contre les bisous sur la bouche. Je vous l’ai dit plus haut, il déteste ça. C’est fait pour les personnes spéciales !  Il a reçu des bisous baveux, il essayait tant bien que mal de ne pas montrer son dégoût pour ne blesser personne, alors il sourit…avec une grimace, mais il sourit quand même.

Quelqu’un heurta le dos de Lukas où son cerveau fit « STOP, ARRÊTE TOUT ! ». Il ferma les yeux et respira un bon coup parce qu’il faisait trop chaud dans cet appartement trop petit. À la limite, il aurait fallu que ça se passe dans sa grande maison qu’ici. Lukas trouvait cet appartement ridicule.
Il se tourna vers la personne qu’il a accidentellement percuté. La voir, le surprit. Il ne le devrait pas. Il devait s’attendre à devoir faire la bise à son ex compagne.
Tout penaud, il s’apprêta à mettre les mains dans les poches. Il n’a pas eu le temps, son regard croisa le sien, plongeant l’abysse de Kendall. Il savait qu’il ne fera pas long feu face à elle…Et Dieu seul sait qu’il savait manier les feux de forêts maintenant. Mais celui-ci, c’était le plus ardent de tous. Il déglutit légèrement. L’adolescent en lui était excité. Le petit garçon, gêné. Mais l’homme était tout à la fois, excité, gêné, rêveur et surtout hypnotisé. Il savait qu’il allait devoir y passer… Il la laissa prendre les devants, alors qu’à l’époque c’est lui qui faisait toujours le premier pas pour revenir la queue entre les jambes. Elle approcha son visage du sien, le cœur de Lukas tambourina comme un tamtam du jeu de Donkey Kong que beaucoup ont joué sur Gamecube. Elle déposa ses lèvres sur les siennes où il sentit cette sensation de bien-être arrivée, il la prit en plein vol et posa une main sur sa hanche, il ne monta ni trop haut, ni trop bas, juste là où il faut. Les problèmes envolés, il se sentit plus léger. Les choses ont changé depuis tant d’années, mais qu’est-ce qu’elle lui manquait !
Cette belle femme, ce parfum, sa douceur innée et ce caractère a en faire tomber plus d’un ou une !
Il mit fin à ce baiser et ce sentiment d’apaisement éphémère. Il ouvrit les yeux vers une Kendall qui lui murmura une bonne année. Doucement, ses lippes masculines s’étirent en un joli sourire et il hocha la tête.

« - À toi aussi Kendall…Et j’espère pour toi que tout s’arrangera de ton côté. »

Il recula et fourra ses mains dans ses poches de costume et baissa le regard avant de lui tourner le dos. Il devait le faire, il devait la laisser là. S’il retournait avec elle, il lui ferait du mal. Non ? Mais non !
C’est bon là !
C’est quoi ça encore ?!
Mais retourne la voir espèce de grand idiot sur pattes !
Va lui dire qu’elle te manque et que tu l’attends depuis toutes ces années ! Bon sang de bonsoir, tu n’es plus sur la coupe de ton père. Tu ne lui parles plus. Tu es même papa de tous ces grands gamins de la caserne, qu’est-ce que tu veux de plus Lukas ?! Réveilles-toi bordel !
Les joues aussi rouges que la première fois qu’il a échangé un baiser, la première fois qu’il a couché avec Kendall et surtout la fois où ils se sont promis des choses avec leurs bouts de papiers, Lukas s’arrêta devant tout ce monde de baisers de bonheur et d’hypocrisie. Il lança un regard à Kendall par-dessus son épaule. Ce regard qui en disait long. Il l’aimait. Elle l’attirait comme un véritable aimant. Il lui tendit la main et l’abaissa.
Non.
Lukas, tu as changé.
Tu peux surmonter ta peur.
Tu ne lui feras pas de mal. Vous êtes des adultes, vous avez mûri.
Alors il lui tendit de nouveau cette main, l’invitant à le rejoindre.
À prendre ou à laisser…
Et si...Si elle était toujours avec Gabrielle ?
Elle lui dira.
Sûre ?
Elle lui dira parce qu’il le saura ce soir.

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FLASHBACK — 31 décembre 2023

Sur l’instant, rien d’autre n’avait eu d’importance que ce baiser. Un baiser que je n’aurais sans doute pas dû lui offrir mais j’en avais très envie. Plusieurs sentiments m’habitaient. J’étais nostalgique de nos moments à deux, comme si toutes ces années n’avaient pas réellement compté. Pourtant, j’ai eu  une vie après Lukas. J’ai été heureuse avec Gabrielle, certes, mais quelque part, j’ai nourri un sentiment de regret, pour me punir d’avoir fauté auprès de lui. Je lui ai fait du mal. Beaucoup de mal, j’en ai conscience aujourd’hui. J’ai grandi, j’ai appris. Je ne suis plus vraiment celle qui l’a connue autrefois. J’ai de nouvelles envies, de nouvelles aspirations. J’essaie de donner un sens à ma vie, sans avoir un homme ou une femme dans mes bras. Voilà deux ans que je cherche à comprendre la vraie Kendall. Pas celle qui était éperdument amoureuse de Lukas ou celle qui était l’épouse de Gabrielle. Ce temps est révolu. Pourtant, revoir Lukas en cette soirée de nouvel an, fait remonter des choses en moi, que je pensais enfouies à tout jamais. Ca me revoit immédiatement à l’adolescente insouciante que j’étais. J’aurais fait n’importe quoi pour lui. Oh oui, j’aurais tout fait, pour qu’il m’aime autant que je l’ai aimé. Seulement, je crois qu’il n’était pas prêt pour nous et c’est sans doute pour cela que j’ai abandonné. J’ai échoué avec Lukas et je m’en veux beaucoup. J’ai laissé une autre personne s'immiscer entre nous. Petit à petit, elle a pris plus de place que je ne l'avais imaginé. Je l’ai aimée, elle aussi. Tellement. Beaucoup trop. Au point de vouloir des enfants avec elle. De me battre pour elle, mais visiblement pas assez. J’ai encore foiré. Une fois de plus.

Peut-être que je ne suis pas faite pour Gabrielle. Ni pour Lukas. Je pense qu’ils méritent mieux que moi. Au fond, même si j’en veux énormément à mon ex-femme pour ce qu’elle nous a fait enduré, je m’en sens en partie responsable. Si je ne m’étais pas éloignée d’elle, sans doute qu’elle serait toujours avec moi, aujourd’hui. Quant à Lukas, si je n’avais pas laissé Gabrielle avoir une si grande emprise sur moi, nous serions peut-être encore ensemble… Mais avec des “Si”, on referait le monde, Kendall. Et tout serait parfait, sans la moindre tâche dans la matrice. Malheureusement, ce n’est pas comme ça que la vie fonctionne. La vie est faite de choix, que l’on prend malgré nous. Les bons comme  les mauvais, qui s'entremêlent indéfiniment. Ce sont ces fameux choix qui déterminent le chemin que nous empruntons. Mais au fond, ceux-ci ne déterminent pas qui nous sommes réellement. Ils nous définissent qu’en partie et très souvent, c’est sur cela que nous nous basons pour nous faire une opinion sur quelqu’un. Pas toujours juste, évidemment.

Alors je suis ici, parce que je l’ai choisi. J’ai choisi d'accepter l’invitation de l’ami d’un ami, qui avait un ami… Je serais bien restée chez moi, allongée sur le canapé, devant un film pourri de Netflix que j’aurais mis trois plombes à choisir. Mais je me suis habillée pour sortir. Je me suis coiffée, maquillée. Je me suis parfumée, aussi. Poussée par je ne sais quelle raison, à me rendre dans le quartier Queen Anne, dans cet appartement dont la vue est imprenable, sur Seattle. Dont l’ambiance est festive à souhait. Sans ce choix, je ne serais pas tombée sur mon ex petit ami, après toutes ces années. Sans quoi, je ne me serais pas rappelée ce que j’éprouvais pour lui. Sans quoi, je n’aurais pas choisi de l’embrasser.

Oui, parlons-en, de ce baiser, Kenny.
Nous avons le temps de l’évoquer.

Ce baiser était parfait. Doux. Nostalgique. Mais si nouveau en même temps. Mon cœur qui battait à tout rompre, il n’en a fait qu’à sa tête. Mes pensées n’avaient plus rien de logique, mon corps a réagit. Oh oui, de manière si violente que j’en suis même la première étonnée. Ce baiser représente peut-être plus que ce que j’ai eu envie d'exprimer. Est-ce que Lukas, l’a ressenti lui aussi ? Je veux dire… cette puissance, cette connexion ? Ce sentiment de bien être ? Sans vraiment savoir pourquoi, je me suis sentie à ma place, dans ses bras. Sans m’en rendre compte, c’est contre lui que je me suis posée, un long frisson de satisfaction m’a parcouru l’échine dorsale, au moment même où nos lèvres se sont touchées. L’une de ses mains a parfaitement épousé ma hanche, comme si elle n’avait jamais quitté mon corps une seule seconde. Comme si toutes ces années n’avaient eu aucune incidence sur notre séparation. C’est étrange ce qu’un baiser nous permet de ressentir, n’est-ce pas ? Je n’avais pas vraiment envie qu’il prenne fin. Je reçois comme un coup de poignard dans mon cœur. J’aurais envie de m’en plaindre mais tout ce brouhaha autour de nous étoufferait sans le moindre mal, ces quelques lamentations de ma part. Instaurant une distance sécuritaire entre nous, j’ai souffle par le nez, tout en souriant. Je ne suis même pas capable de le regarder, à mon tour. Si seulement, tout pouvait s'arranger, oui. Mais peut-être que je n’en ai pas envie. Cela remonte à deux ans. Deux ans que je n’ai pas vu Gabrielle. Notre divorce s’est fait par avocats interposés, elle n’a même pas pris la peine de se déplacer… Voyez à quel point j’étais importante pour cette femme, hein !!!

Je n’ai pas envie de penser à elle ce soir. Je ne veux plus penser à elle tout court. Je me concentre sur Lukas, qui… oh, préfère se retourner, prendre la fuite, sans doute ? Je me pince les lèvres, serre les dents ensuite. Hum, je n’aurais peut-être pas dû l’embrasser. Je l’ai mis mal à l’aise et maintenant, je le fais fuir. BON SANG, KENNY !!!! Est-ce que  je dois le rattraper ? Doit-on discuter ? Il reste tellement de non-dits entre nous. Je pourrais déjà  m’excuser pour tout le mal que je lui ai fait, ce serait un bon début, non ? Et si je l’aimais encore ? Je veux dire, et si ce n’était pas seulement de la nostalgie, ou du manque. Parce que oui, il me manque cruellement. Parfois, je pense à lui. Parfois, pendant mon mariage avec Gabrielle, j’ai pensé à lui, sans jamais l’avouer. Mais était-ce du regret ? Je ne le saurais peut-être jamais, en fait. Tout ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui, ce soir, je suis prise entre deux feux. Son comportement m’interpelle, la 2e fois qu’il me tend la main, je ne réfléchis pas : j’inspire profondément, m’avance vers lui pour glisser mes doigts dans les siens et lui offre un sourire comme on n’en fait plus ! Mon regard se perd dans ses iris, mon cœur retrouve un certain élan que je ne connaissais plus. Il bat vite, et fort. Sans tout ce bruit de feux d’artifices ou de sifflets sans-gênes, Lukas serait capable de l’entendre, là, comme ça mais le sentir en posant sa main contre ma poitrine, n’en serait que plus palpitant et excitant ! Je resserre nos liens et lui demande :

— Et maintenant ?

Qu’adviendra-t-il de lui, ou même de moi, cette nuit ? Et là, je panique. Le sentiment qui m’habite ne ressemble plus du tout à quelque chose de palpitant, ou d’existant. J’ai peur. Peur de la suite, de ma fuite… de sa fuite… Il se passe quoi, ensuite ? J’aimerais le savoir à l’avance, mais je sais que c’est impossible… Je ne lui laisse cependant pas le temps de répondre, l’entraine avec moi, vers et à la recherche d’un coin plus tranquille. Où nous ne serons que tous les deux, pour discuter pour… je ne sais pas, revoir en détail ce qui a causé l’échec de notre histoire peut-être ? Je suis fautive, voudra t-il qu’on en parle ? Après tout ce temps ? Dans ces circonstances ? J’ai choisi d’attraper sa main, c’est que cela signifie quelque chose, non ??

Tout le monde s’amuse, chante, danse, siffle ou regarde le feu d’artifices. Pendant que moi, je suis à la recherche d’un endroit calme et isolé. Et j’ouvre une porte, au hasard. J’attire Lukas avec moi, dans… ce qui ressemble à une salle de bain. Je referme alors derrière nous, tourne le loquet pour être certaine qu’on ne sache ouvrir la porte. Oh et puis, ces gens ont bien mieux à faire que de nous chercher de toute façon, non ? J’inspire profondément, tout en posant un regard embarrassé sur Lukas. Je réitère ma question de tout à l’heure :

— Et maintenant ?

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FLASHBACK — 31 décembre 2023

Ça fait fort longtemps.
Ce sentiment de bien-être s’était emparé de lui. Il se sentait aussi léger qu’une plume. Le poids de ses épaules à cause des responsabilités s’envolait vers d’autres horizons. L’apaisement prit place et il respira l’air comme n’importe qui. Il fit halte à sa maîtrise des émotions, il tendit la main à Kendall. Le regard vert émeraude brûlant d’un désir certain envers celle qui lui a fait connaître les hauts et les bas de l’amour et surtout a su mettre un poing d’honneur sur son cœur. Elle ne sait pas et ne le saura sans doute jamais.
Lui qui est trop pudique sur ses sentiments. Cela peut vous sembler égoïste, mais c’est son mode de fonctionnement.
Cette petite voix perverse lui susurre au creux de sa conscience qu’il ne devrait pas s’aventurer aux côtés de la belle brune. Peur de l’échec et du regard de l’autre. Non, il le fait. Il goûte à la pomme d’Ève. Il faut savoir prendre des risques dans la vie sinon on s’ennuie à mort.
Au fond de lui, le gamin qu’il était autrefois, est terrifié à l’idée qu’elle le rejette, mais l’homme attendait patiemment sa réponse.
Tout doucement, la brune s’approcha de lui. Elle ne va quand même pas lui mettre une claque ? Elle a l’air timide. Mais avec elle, on peut s’attendre à tout. Méfiant, Lukas serra légèrement les mâchoires. Il craignait son rejet, son abandon car elle était la seule à lui avoir mit sur le droit chemin en rompant avec lui. Hypnotisé par ses yeux de couleurs noisette, il se perdit à l’intérieur aussi naïf qu’un petit écureuil inoffensif. Il sentit ses doigts entrelaçant les siens, lui provoquant une décharge électrique. Le corps du pompier s’électrisa, ses yeux vert émeraude s’agrandirent légèrement par surprise. La belle savait y faire avec la bête. Elle n’a jamais perdu la main. Elle le domptait comme un vulgaire pantin. Ça n’allait pas recommencer. Ils ont mûri, ils ont du vécu derrière eux. Ils sont adultes et savent réfléchir. Le cœur battant la chamade, il coupa le eyes-contact pour fixer leurs mains afin de réaliser ce qu’il se passait. Il releva de nouveau le regard sur son sourire rayonnant et le lui rendit. Elle éblouissait toute la pièce, tandis que lui, se fit timide. Il ne s’attendait pas à une telle réponse.
Non. Ne la laisse pas tomber. Continue sur ta lancée.
Elle lui demande ce qu’ils feront par la suite, Lukas prit délicatement l’autre main de Kendall et embrassa la salle des yeux. Elle ne lui donna pas le temps de réfléchir trop longtemps qu’elle l’entraîne dans le bain de foules sous les brouhahas des cris de fêtes et des accolades où l’alcool fusaient, les odeurs putrides s’enfoncèrent dans les abîmes des narines de Lukas ce qui le dégoûtait fortement. Il jouait légèrement des épaules pour pouvoir se frayer un chemin en ne lâchant pas la main de sa nymphe. Elle était sûre d’elle, elle savait ce qu’elle faisait.
Sûre ?
Vraiment ?
Les mains de Lukas commencèrent à être moites.
Bordel qu’elles étaient moites !
Il regrettait de ne pas masquer sa nervosité. Il ne savait plus comment la retenir davantage à ses côtés. C’est évident. Elle est la seule à le rendre comme ça depuis leur rencontre. Plus de seize ans, c’est ça ? À cet instant, il ne sait pas. Il ne sait plus. Il n’arrive plus trop à réfléchir. Il avait fort chaud avec tout ce monde. Dommage qu’il n’ait pas sa lance à incendie pour noyer certains invités qui suintaient l’alcool à des milliers kilomètres à la ronde. C’était désagréable.

Avait-elle besoin de réponses à ses questions les plus intimes ? Dans ce cas, lui aussi. Il en avait trop qui suspendaient leur ancienne relation. Il ne comprenait pas pourquoi, elle s’est permise de l’embrasser sur la bouche alors qu’il l’avait bien vu taper la bise à tout le monde avant lui. Alors pourquoi lui ? Se prouver qu’elle l’aimait toujours autant ou se venger de Gabrielle sur quelque chose ? Le sentiment de mal-être revint soudainement, Lukas commençait à être vexé par sa propre opinion envers lui-même. Ce n’est pas normal qu’il soit comme ça. Il était fort nerveux.
Une nouvelle fois, elle le surprit en les enfermant dans la salle de bain de ses voisins. Bizarre parce qu’à l’époque, c’est lui qui gérait les destinations les plus farfelues. Il recula légèrement pour lui laisser de l’espace avant de s’asseoir sur le bord de la baignoire et de la contempler. Elle n’avait pas l’air bien.
Lui non plus. Il allait transpirer à grosses gouttes, s’il laissait éclater sa nervosité au grand jour. Il posa ses mains moites sur son pantalon bleu marine.  
Il était terrifié. Il se répétait sans arrêts un « Je n’ai pas peur d’avoir peur. » c’était ce que sa mère le lui avait conseillé peu de temps après leur rupture. Problème, il ne se sentait plus dans son élément. Ce n’était pas un feu qu’il fallait éteindre, ni une victime à sortir d’un accident de voiture. C’était pire que ça, c’était Kendall. Elle était comme la déesse Perséphone, aussi époustouflante et terrifiante à la fois. Il l’aimait d’un amour inimaginable.
Il posa un regard sur le carrelage et se pinça les lèvres.

« - Si quelqu’un a besoin de faire la commission, il ira à l’autre bout de l’appartement. » commente-t-il en guise de réponse à sa question.

Non, mais Lukas… Vraiment.
Il leva les yeux vers elle et se sentit complètement perdu dans ce fameux jeu de Kendall et Lukas. Lui qui croyait ne plus jamais la recroiser dans sa vie.
« Je ne comprends rien, Kendall. C’est toi qui m’embrasses et tu me demandes ce qu’on fait ? Tu es toujours avec Gabrielle ou non ? C’est un test ? Si c’est un test, je sors directement. »  

Il ne se leva pas pour autant de la baignoire.

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