C'est bon de te revoir - Joshua

Instagram … les réseaux sociaux … ça n’était pas la tasse de thé d’Anthony. Il n’était vraiment pas à l’aise avec ce genre de choses. Certains disaient qu’il était vieux jeu, mais de son point de vue, il n’aimait pas recevoir des commentaires désagréables en face à face, alors avec des personnes qui se cachaient derrières leurs écrans, c’était encore pire. En face à face, il pouvait se défendre, mais sur internet, c’était une autre histoire. En plus de cela, il n’avait pas envie que ça amène une controverse avec les autres membres de sa famille au vu de leur passé. Pas besoin que les histoires avec son père voient le jour une nouvelle fois. Seulement son agent lui disait que c’était une bonne idée d’avoir ce genre de présence en ligne. Selon lui, il avait le choix entre Twitter et Instagram. Il aurait bien opté pour la première option, même s’il savait que ça n’était plus le nom donné à cette plateforme. Mais comme beaucoup, il continuerait à l’appeler ainsi. Pouvoir écrire était quelque chose qu’il aimait. Seulement, ce fut Instagram qui gagna haut la main quand il posa la question à sa famille. Pourquoi ? Parce qu’ils se disaient que ses fans préfèreraient le voir sur cette application et surtout poster des photos de lui et son actualité. Il avait défendu cela en disant qu’il pouvait faire la même chose sur Twitter, mais on l’avait rabroué et il avait capitulé pour ne pas qu’il y ait de discorde avec les autres, en sachant qu’ils étaient bien à l’aise que lui avec tout ça.

Il était donc installé dans son canapé à choisir quelles photos il pourrait mettre en ligne. Ses lunettes sur le nez, il regardait la galerie de son téléphone, avant d’opter pour la vue depuis le Space Needle. Il y avait été quelques jours plus tôt sur un coup de tête. Postant la photo, il mit un commentaire sur ce qu’il avait pensé de sa visite. Hésitant, il finit par poster le tout avant de grogner. Mais en quelques minutes, son téléphone sonnait dans tous les sens. Surpris, il prit et vit un tas de commentaires. Il ne s’attendait pas à une telle effervescence et il esquissa un sourire en voyant les commentaires positifs. Tout en défaisant défiler les commentaires, il remarqua un visage familier. Ouvrant la profil de la personne, il haussa les sourcils. Joshua Blasco. Il n’avait pas revu ce dernier depuis longtemps et il était content de savoir qu’il était sur l’application. Peut-être que tout n’était pas perdu. Il envoya un message à ce dernier pour prendre de ses nouvelles et finalement, ils se donnèrent rendez-vous en ville quelques jours plus tard.

Se retrouvant à la terrasse d’un café, Anthony attendait tranquillement que le plus jeune arrive. Les yeux rivés à son portable, le cinquantenaire lisait un message qu’une de ses sœurs venaient de lui envoyer et il esquissa un sourire. Cette dernière aimait s’amuser et il devait avouer qu’il appréciait de la voir vivre sa vie comme elle l’entendait. C’était une chose qu’il n’avait fait que tard lui-même. Répondant tranquillement, il rangea le tout dans sa poche de jean et leva les yeux, apercevant Joshua au loin. Il lui fit signe, sachant qu’il ne pourrait pas le louper, vu que Anthony, même assit, restait grand. Une fois que le jeune homme arrive près de lui, il lui tendit la main.

Content de te revoir Joshua. Je ne t’ai pas demandé, mais on peut se tutoyer ?

Il ne voulait pas paraître rustre si ça n’était pas le cas. Il lui fit signe de s’installer en face lui, avant de reposa son attention sur le brun.

Veux-tu passer commande tout de suite ? C’est moi qui invite.

Il n’avait jamais eu de souci pour payer des verres à ses proches ou même des personnes qu’il connaissait peu comme Joshua. Mais, il était loin d’imaginer que ce dernier ne roulait pas sur l’or.

L’avantage des cafés publics lorsque l’on est sans-abris est qu’il est simple de recharger son téléphone portable, véritable luxe pour quelqu’un sans toit au-dessus de la tête. Encore plus une fois l’abonnement ajouté grâce aux fines économies disponibles sur mon compte bancaire. Rien d’original ne se tramait en ce jeudi après-midi jusqu’à ce qu’une notification eût attiré mon attention sur mon écran. Un sourire s’étira légèrement sur mon visage. Une vieille connaissance venait de s’inscrire sur Instagram et, un instant après, j’étais déjà abonné à son compte et lâchai un commentaire. Anthony Fogg. Je connaissais peu de choses sur cet homme si ce n’est qu’il me renvoyait à une époque où mon avenir était plus prometteur. Rencontré sur un plateau de tournage, nous avions eu l’occasion d’échanger quelques mots sans jamais nous attarder par manque de temps. Il faut dire que nous ne faisions pas partie de la même équipe et nos chemins ne s’étaient jamais recroisés depuis. Dommage car il m’avait laissé une forte impression. Ce type semblait avoir tant à dire. Allez savoir pourquoi il m’intriguait tant. Pour autant, je ne m’étais pas attendu à ce qu’il se souvienne de moi, ni même qu’il soit suffisamment intéressé pour m’envoyer un message. Mon cœur fit un bond. J’étais stupéfait puis me laissait envahir par l’anxiété. Pourquoi ? Car l’écrivain me donnait rendez-vous dans une poignée de jours. Non, je ne craignais pas qu’il se révèle être un pervers ni quoique ce soit de ce genre mais ma situation précaire m’embarrassait. Je ne pouvais décemment pas lui en parler, ne me laissant qu’une solution : le lui cacher. Me voilà à brandir la carte de la malhonnêteté par honte de ce que j’étais devenu. En me couchant plusieurs heures plus tard, j’étais incapable de juger qui l’emportait entre la joie de renouer contact ou la tristesse d’avoir tout loupé dans ma vie.

Le dimanche arriva à une vitesse folle. Dans le but de ne rien laisser paraître, j’avais passé la veille chez Anton, mon meilleur ami. Ce bref séjour m’avait permis de me reposer confortablement mais aussi d’arborer une apparence soignée. Je sentais bon, je lui avais piqué des fringues propres et mon humeur était désormais au beau fixe. Je m’en voulais toujours d’être forcé de lui cacher la vérité mais, au moins, j’étais à l’aise dans mes baskets (ou, pour être plus exact, dans celles de mon meilleur ami). J’arrivai au lieu de rencontre à l’heure prévue, l’apercevant me faire signe d’une table à laquelle il était déjà assis. Je me dirigeai vers lui avec hâte et lui serrai la main avec un sourire. L’âge de mon interlocuteur était plus avancé que le mien mais je le trouvais plutôt bel homme. Il n’avait pas tant changé que ça depuis la dernière fois. « Évidemment ! Et c’est un plaisir pour moi. » lui répondis-je avec enthousiasme. « Ça faisait combien de temps ? Trois, quatre ans ? » Je me doutais plus ou moins de la date puisque ma mère était encore parmi nous. Bon sang… J’avais l’impression que ça remontait à une éternité… Le producteur ne devait pas être au courant de ce drame survenu depuis.

« Oh, c’est très généreux de ta part. Je te remercie ! » lui répondis-je non sans une pointe de soulagement lorsqu’il proposa de payer mon verre. Mes poches étant presque vides, l’imiter ensuite me mettrait sur la paille pour aujourd’hui. Je commençai un simple soda puis la discussion reprit naturellement son cours. « Qu’est-ce que tu deviens ? Je ne pensais pas que tu te souviendrais de moi. » J’étais honnête. Pourquoi n’avais-je pas disparu de sa mémoire ? Je ne pouvais pas l’avoir marqué à ce point ! Et pourtant nous voilà, réunis autour d’un verre comme deux bons copains. « Tu écris en ce moment ? » Je n’avais pas suivi sa carrière, je devais l’admettre. Il fallait avouer que le cinéma n’était plus le centre de ma vie maintenant que je peinais à dormir autre-part que sur une surface dure.

La différence d’âge était évidente entre eux et en général, on le vouvoyait plus facilement, donc il pouvait comprendre que certaines personnes soient plus à l’aise avec cela. Parfois, il trouvait que ça le vieillissait encore plus. Quand ses sœurs l’appelaient monsieur, il savait que c’était pour l’embêter. Il aimait bien les appeler les vieilles filles d’ailleurs. Tout comme il aimait ennuyer son jumeau et le meilleur ami de celui-ci en les nommant les Statler et Waldorf. Oui, les deux grands-pères du Muppet Shows les représentaient bien. Bref, il préféra donc demander à Joshua s’il pouvait le tutoyer ou pas, car il ne voulait pas faire d’erreur. Face à l’enthousiasme de ce dernier, Anthony eut un rire amusé.

Au moins oui, peut-être plus quatre ans ou pas loin en tout cas.

C’est vrai que ça remontait à pas mal de temps maintenant. C’était avant que sa meilleure amie et son épouse ne perde la vie. Il eut un pincement au cœur en pensant à elle, mais il fit en sorte de ne pas le laisser voir et reporta son attention sur le plus jeune. Il lui proposa de commander tout de suite en sachant que c’était lui qui payait le tout. Souriant à sa réponse, ils commandèrent, avant que le jeune homme prenne la parole.

Vraiment ? Pourquoi ? Tu as du talent, c’est normal que je me souvienne de toi. J’apprécie toujours de voir en plus les jeunes talents agréables comme toi faire carrière.

Il est vrai que devenir père célibataire, même si son fils était grand avait mis Anthony face à une situation totalement imprévue et compliquée au départ. Face à sa question, le plus âgé hocha la tête.

Oui, je suis sur l’écriture de mon second livre. J’espère pouvoir le sortir en fin d’année.

Il optait pour octobre ou novembre, en espérant que tout ce passe bien.

Et toi alors ? J’avoue que je n’ai pas vraiment gardé de traces de ta carrière. Ma vie a été un peu chaotique depuis un moment, mais j’espère que ça se passe bien de ce côté-là pour toi ?

Remerciant le serveur qui vint déposer sur la table un soda pour Joshua et un café pour Anthony, ce dernier reporta son attention sur le plus jeune, tout en secouant son sachet de sucre, avant de le vider dans sa tasse.

Revoir une vieille connaissance était agréable si on omettait le fait que je devais réfléchir à chacune de mes paroles avant de la prononcer. Comment réagirait mon interlocuteur en apprenant ce que j’étais devenu ? Rien que de la déception me ferait culpabiliser. Du peu que nous avions échangé, c’était un type bien (dans le cas contraire, je ne me serais pas embêté à accepter ce rendez-vous ni à essayer d’être présentable) et il le prouvait à nouveau en payant l’addition. Sans le savoir, il me sauvait d’une situation embarrassante même si j’aurais pu payer deux ou trois verres avant d’être pauvre pour les jours à venir… Des fois, je me disais qu’il serait grand temps de trouver un job et de m’y tenir. À condition de ne pas être renvoyé… Quant à la raison pour laquelle je pensais qu’il aurait pu aisément m’oublier… « Merci. Ça me touche, sincèrement. C’est juste que tu as dû rencontrer tellement d’acteurs que j’ai du mal à comprendre comment j’ai pu retenir ton attention comme ça. » Vraiment, j’étais touché. Si tel était son jugement alors étais-je en train de gaspiller mon potentiel moi qui avais réussi à me persuader que je perdais mon temps ? « D’autres prendraient la relève sans mal. » « Ce n’était pas comme si j’avais une filmographie mémorable. » Tant de choses que je me répétais en boucle pour faciliter cet abandon professionnel. Allez savoir pourquoi, je lâchai une blague relativement douteuse. « Tu n’es pas tombé amoureux de moi par hasard, hein ? » Tentais-je de faire diversion avant que le sujet devienne trop épineux ? Je ris dans le but de le rassurer du caractère humoristique de ma question. Il était bel homme, certes, mais même sans connaître son âge je savais qu’il existait aucun risque pour que nous ayons un jour partagé le même bac à sable à l’école. Je l’interrogeai avec légèreté. Pas de quoi en faire tout un plat. Surtout qu’il était père de famille si ma mémoire ne me jouait pas de tour.

Malheureusement, ce ne fut pas suffisant pour faire dériver la conversation bien longtemps puisqu’après avoir balayé d’une main ce qui le concernait, il revint sur une pente glissante. Qu’est-ce que je devenais ? Je n’avais même pas eu le temps de réagir à son annonce qu’il me fallait déjà trouver comment mêler honnêteté et omission. Je bus une gorgée du verre qui venait de nous être servis après avoir trinqué puis m’éclaircis la gorge. « Eh bien… J’ai dû lâcher tout ça à cause de problèmes familiaux et je ne me suis jamais remis en selle. J’essaye de trouver un job sympa en attendant mais c’est plus difficile que ça n’y paraît je t’avoue. » Il faut dire que j’étais incapable de trouver un poste capable d’effacer ma soif des planches. Tout m’ennuyait. Je ne m’étais jamais projeté autre-part et le retour à la réalité était très douloureux. Je baissai les yeux après avoir croisé ceux d’Anthony. Me jugeait-il ? Me trouvait-il aussi minable que mon père pour n’être jamais à la hauteur des attentes ? « C’est sûrement trop tard maintenant pour revenir. Je ne saurais même pas par où commencer. » Déjà qu’en ayant le nez plongé dedans depuis l’enfance c’était la galère alors y retourner après des années d’absence… Une forme de confession en somme.

« En tous cas je te souhaite un succès grandiose pour ton livre. De quoi mettre de l’ordre dans ce « chaos » peut-être ? » J’ignorais de quoi il était question exactement mais je priais pour que ce ne soit pas aussi terrible que ce qui était arrivé chez les Blasco. « Tu peux me parler de l’intrigue ou c’est secret défense ? » lui demandai-je avec un intérêt non-simulé. Pour avoir jeté un coup d’œil à certains de ses écrits à l’époque, je me souvenais encore qu’il possédait une belle plume.

J’ai rencontré du monde durant ma carrière, mais je retiens ceux qui savent qu’ils font ce métier par passion et qui prouvent qu’ils veulent réussir.

Anthony savait qu’il avait eut de la chance de revoir sa meilleure amie et que l’épouse de cette dernière était agent et recherchait à ce moment-là quelqu’un. Une succession de heureux hasards. Mais il savait aussi qu’être acteur était devenu un métier important pour lui, parce qu’il avait pu s’épanouir. Face à la question du jeune homme, il haussa un sourcil, avant d’esquisser un sourire.

Si je te disais que c’était le cas, que dirais-tu ?

Il le fixa avant de sourire de plus belle.

Je ne suis pas aveugle, tu es bel homme Joshua, mais je préfère les hommes plus proches de ma génération.

Evidemment que le plus jeune était bel homme, dire le contraire serait mentir. Mais Anthony avait déjà eu assez de problème sentimentaux par le passé et il appréciait Joshua comme un ami, rien de plus. Après avoir reçu leurs boissons, Anthony reporta son attention sur le plus jeune pour savoir comment ça allait de son côté. Fronçant les sourcils face à ses paroles, le plus âgé resta le fixer.

Je suis désolé d’apprendre cela. J’espère que tes problèmes familiaux ne sont pas trop graves malgré tout.

Il savait ce que ça pouvait donner parfois, il espérait donc que de son côté Joshua pourrait arranger les choses. Cependant face à ses paroles, il haussa les sourcils.

Vraiment ? Tu sais, j’ai débuté ma carrière alors que j’avais vingt-sept ans. Je n’y connaissais absolument rien, mais j’ai été bien épaulé, j’ai pu avoir les bons rôles et rester moi-même. Certaines personnes commencent encore plus tard leur carrière. Le tout c’est que tu en ai vraiment envie et que si c’est ce qui te plaît, alors fonces. Si tu n’es pas sûr de savoir par où commencer, saches que pour ça je peux t’aider. J’ai des contacts que je peux utiliser, donc n’hésites pas à me dire si tu peux être intéressé ou pas.

Souriant, il devait avouer que s’il pouvait aider Joshua, ça serait fait avec grand plaisir. Face aux paroles du jeune homme, il esquissa un sourire.

Merci, c’est gentil et le chaos … disons qu’il a été particulièrement brutal et que depuis, mon fils et moi remontons la pente doucement. Il est plus fort que moi là-dessus, mais ça ne devrait pas m’étonner, il l’a toujours été.

Esquissant un sourire, penser à son fils lui faisait toujours du bien. Il faisait en sorte de ne pas lui montrer quand il était triste, mais il était clairement son roc.

Oh pour le livre, ça reste dans la même veine que le premier. Parler des coulisses de mes tournages, des rencontres que j’ai pu y faire. J’avoue que je ne suis pas vraiment doué pour monter une histoire de toute pièce. Pourtant j’ai essayé, mais j’ai toujours un creux dans mes intrigues et ça ne donne rien de bon. C’est plus facile de parler de choses réelles que j’ai vécu … mais tu pourrais peut-être y participer. J’ai pu discuter avec d’anciens collègues qui ont accepté de parler de leur expérience, tu accepterais de le faire aussi ? Je sais que nous n’avons pas joué ensemble dans les rôles titres, mais ça me ferait plaisir que tu puisses parles de ton expérience. Qui sait, ça pourrait inspirer d’autres à se lancer ou même t’inspirer toi à nouveau.

La phrase de mon interlocuteur me percuta de plein fouet. Oui, j’étais passionné par cette profession depuis toujours. Il m’avait parfaitement jugé là-dessus. Mais aujourd’hui je considérais ne plus avoir les moyens de suivre cette voie. Entre ma situation actuelle et les drames m’ayant brisé… Possédais-je encore ce qu’il fallait pour retrouver cette ténacité, cette force, nécessaires pour s’élever par rapport aux autres acteurs ? Pourquoi choisirait-on cette sorte de coquille vide que j’étais devenu à la mort de ma mère ? Est-ce que la flamme était éteinte définitivement ? J’aurais pu exprimer l’étendue de mes doutes à Anthony mais cela signifiait d’en déballer bien plus que ce que je comptais faire. Impossible. Tout du moins, pas maintenant. Plutôt que de me laisser ronger, je lâchai une blague qui, par chance, passa à merveille. Un sourire satisfait se dessina sur ma trogne en m’entendant qualifié de « bel homme » tout en cherchant quoi répondre à cela. Je m’étais moi-même foutu dans le pétrin avec mes conneries ! « Je te renvois le compliment. Tu me trouverais trop immature de toute manière. » dis-je en haussant les épaules. L’étais-je ? Sur certains points sûrement. Mais qu’aurais-je pu répliquer d’autre à un type ayant au moins l’âge de mon père ? Je me visualisais mal à son bras aussi charmant soit-il.

Quant à mon semblant de confessions autour de mes « problèmes familiaux » … Ce n’était guère mieux. À croire qu’en voulant éviter le pire, je sautai dedans à pieds joints. Je restai silencieux quant à la gravité de ces derniers. Il n’avait pas idée ! Inutile de le mettre plus mal à l’aise qu’il ne l’était déjà en lui contant les malheurs des Blasco. Nul doute qu’il prendrait la fuite et que je n’aurais plus jamais de nouvelles de sa part. Heureusement, il dériva la conversation sur sa carrière et l’espoir pour moi de renaître de mes cendres. Sa proposition me fit alors aussi chaud au cœur qu’elle installa une panique violente en moi. « Oh ! Je… Ne crois pas que j’ai accepté de te voir pour te demander de l’aide ou… Je ne suis pas comme ça ! » Car oui, je n’étais pas à l’abri d’une mauvaise interprétation des mes motivations à me trouver là désormais. J’avais beau ne pas être le pire acteur de cette planète, ma sincérité à fleur de peau appuyait la véracité de mes mots pour quiconque possédait un minimum de jugeote. « Ce n’est pas que je n’en ai pas envie c’est juste que j’ai… peur. Je ne suis plus le même et je ne suis pas sûr que l’on puisse encore m’apprécier pour qui je suis aujourd’hui. » Pourquoi terminai-je toujours à me confier plus que mon souhait initial ? Il fallait avouer que l’écrivain possédait une aura paternelle forte dont j’en ressentais le besoin plus que j’étais prêt à l’avouer.

Je fus donc ravi de concentrer ensuite la discussion sur lui. J’apprenais l’existence de son fils par la même occasion, craignant qu’un scénario similaire au nôtre leur soit arrivé. « Je ne sais pas. Tu as l’air d’être un gars sacrément costaud si tu veux mon avis. » lui assurai-je chaleureusement. « J’ignorais que tu as un fils. Lui aussi est acteur ? » Ces retrouvailles étaient parfaites pour apprendre à se connaître davantage alors pourquoi ne sauterais-je pas sur cette occasion ? Je pouvais difficilement lui demander d’épiloguer sur les drames qu’ils avaient rencontré alors que je refusais de le faire de mon côté. Autre chose que je n’avais pas vu venir : que l’on me demande une interview. Ma dernière remontait à si loin que les souvenirs s’effritaient et qu’elle devait être oubliée de tous. « Hum… Qu’est-ce que tu aimerais savoir ? Ma carrière n’a rien d’extraordinaire, je ne sais pas si tu y trouveras ton compte. » m’inquiétais-je en croisant son regard. « Mais ce serait avec plaisir ! Si mon parcours peut t’être utile - ou même à tes lecteurs – je ne peux pas refuser ! » Ce sentiment d’avoir ne serait-ce qu’un peu d’importance me faisait tout drôle. Sans pour autant être narcissique, c’était plaisant. Un instant, je me laissai entraîner dans une vague d’optimisme comme je n’en avais que trop peu depuis 2020. « Tu sais ce que j’aimerais vraiment ? Retourner sur les planches avec toi. » J’avais commencé au théâtre. Quel autre endroit serait plus approprié à mon retour hypothétique ? Je savais que ce n’était qu’illusion mais n’avais-je pas le droit de rêver ?

Merci et c’est possible que tu sois immature, mais ça ne veut pas dire que tu l’es dans tous les domaines. Crois-moi quand je te dis qu’à mon âge je le suis pour certaines choses. Et puis ça fait du bien de l’être parfois. Ca permet de laisser le négatif de côté et de pouvoir s’amuser je trouve.

Juste s’amuser, faire ce qu’on a envie quand c’est possible, c’était quelque chose d’important. En tout cas, il l’avait appris. Sur le tard, mais depuis, il en profitait pleinement.

Mais est-ce que ça veut dire qu’il y aurait quelqu’un dans ton entourage qui serait plus approprié ?

Il haussa un sourcil amusé, faisant ainsi comprendre aussi qu’il n’était pas obligé de répondre à la question si cela le mettait mal à l’aise. Joshua n’avait aucune obligation et il pouvait même dévier la conversation sur autre chose ou lui dire qu’il ne répondrait pas. Anthony ne lui en tiendrait absolument pas rigueur. Discutant ensuite carrière, le plus âgé était prêt à aider Joshua si ce dernier désirait revenir vers une carrière dans le monde qu’il avait dû quitter. Cependant, il vit ce dernier mal à l’aise et tenter de lui faire comprendre que ça n’était pas pour ça qu’ils se voyaient aujourd’hui. Anthony eut un léger rire amusé.

Je ne le prends pas comme ça et même si c’était le cas, c’est un métier dans lequel avoir des relations est parfois importantes. Donc si je peu t’ouvrir des portes, ça sera avec plaisir. Ca l’aurait moins été si tu n’avais pas été bon, sache-le. Que tu ais changé est normal, nous changeons tous. Des choses arrivent dans nos vies et nous n’avons pas le choix que de changer. Le changement est sans aucun doute la seule constante dans la vie. Mais ça n’est pas forcément une mauvaise chose et puis si ceux qui t’appréciaient avant ne le font plus aujourd’hui ça n’est pas grave. Tu auras juste une autre audience qui prendra le relais. Crois-moi que si tu voyais le moi d’il y a plus de vingt ans et celui que je suis aujourd’hui, nous sommes totalement différents. Oh, ça ne me rajeunis pas tout ça.

Il eut un nouveau sourire au lèvres, avant de boire une gorgée de café, tout en écoutant Joshua répondre à ses propos.

C’est sans doute l’image que je renvois, mais ça n’est pas toujours le cas.

Cette fois-ci son sourire fut moins heureux, mais quand le plus jeune parla de son fils, là Anthony retrouva son sourire avec joie.

Peu de monde est au courant. Nous avons gardé la chose secrète, parce qu’il n’avait pas besoin de ça en plus de l’adolescence et compagnie, qui est bien assez compliqué déjà. Non il n’est pas acteur. Il me parle de tenter l’aventure pour quelques petits rôles, mais hésite encore. Je ne pense pas qu’il fera carrière. Je pense qu’il est plus curieux qu’autre chose.

Qu’il veuille en faire une carrière ou pas, Anthony sera là pour le soutenir quoi qu’il arrive, ça c’était certain. Concernant son nouveau livre, l’acteur devait avouer que l’idée de discuter avec Joshua de leur expérience sur le même tournage serait intéressant.

J’en prend bonne note et pour les questions, je vais y réfléchir. Mon esprit a besoin de temps pour arriver à trouver les bonnes questions, mais maintenant que j’ai ton Instatruc là, je pourrai te contacter plus facilement.

Oui, Instagrama, Twitter et tout ça n’était clairement pas son point fort, il devait l’avouer. Mais face à ce que venait d’ajouter Joshua, le plus âgé devait avouer qu’il appréciait grandement de voir son enthousiasme.

Oh ça serait une super idée ça ! Ca fait tellement longtemps que je n’ai pas joué au théâtre. Je crois que j’ai toujours cette peur de me tromper dans mes lignes et puis ce nœud à l’estomac avant chaque représentation, que j’ai mis ça de côté. Mais retourner sur les planches ensemble, ça serait une belle occasion. Tu préfèrerais jouer un classique comme Shakespeare ? Genre Macbeth ou plutôt quelque chose de plus récent ?

Avec l’enthousiasme du jeune homme, ça lui donnait aussi envie de voir ce qu’il pourrait vouloir de son côté.