Show must go on ft. Rhea

T’as la tête un peu en vrac, comme le cœur. T’es ivre de mille questions, de mille angoisses qui te torturent et qui te clouent entre les quatre murs de ton trop grand appartement. La phase descendante de ta dépression revient, poussée par les évènements, les révélations, les disputes et même les réconciliations. Tu t’enfonces, lentement, au creux de ces draps où se mêlent deux odeurs, trois avec la tienne, et…

Et tu dois sortir.
T’as encore suffisamment de volonté pour ne pas t’abandonner à ce qui a failli te tuer. Suffisamment pour ranger le cadeau de ton grand-père hors de ta vue, enfiler quelque chose de décent pour sortir. T’as pas cessé d’être en représentation ni de prendre soin de ton corps, alors tu ne vas pas… si mal que ça ? Peut-être, peut-être pas. Tu passes quand même qu’une seule demi-heure dans la salle de bain…

Tu prends un taxi pour te rendre à Fremont. C’est le centre du monde, de ton monde, là où on trouve des artistes dans tous les genres. T’as besoin de te reconnecter à la créativité, d’en prendre plein les yeux pour ne plus sentir la morsure de la solitude. Et t’as de la chance parce que quelque chose semble se passer ce jour-là…

T’arrêtes le taxi et tu descends après avoir payé le double pour la course -t’as pas encore appris à attendre la monnaie tellement tu t’en cognes. T’as remarqué une agitation devant un lieu d’exposition et t’es curieux. T’essaies de passer la petite foule et comme t’es fin, agile, t’arrives pour distinguer la cause de cet empressement. Tu ne remarques pas les tableaux, t’es trop focalisé sur les artistes de cirque.

Un sourire d’enfant éclaire ton visage, surtout en avisant la femme qui semble danser dans les airs. Tu la trouves gracieuse, si t’avais été ne fut-ce que bi, t’aurais pu tomber amoureux de ses mouvements, hypnotisé. T’es si sensible à ces choses-là, aux façons de bouger, et même si tu ne fréquentes presque pas de femme, tu dois avouer que souvent, elles s’illustrent dans le domaine. Et t’as très envie de la rencontrer. Très envie de parler de ce que tu viens de voir. Très envie qu’elle te montre, qu’elle t’apprenne peut-être ? Tu t’engouffres dans cette brèche avec l’énergie du désespoir. Faut que tu trouves une occupation. Ça devient vital. T’aimes pas trop cette pulsion parce que tu penses qu’elle te rend faible mais t’es quand même en train de la chercher.

Le spectacle est terminé, tu remarques seulement les peintures et tu n’y jettes qu’un bref coup d’œil. Tu la cherches du regard, t’essaies de te recomposer une contenance et donc tu prends une flûte du champagne qu’ils servent pour occuper tes mains. T’imagines que les artistes vont se mêler à la foule et ça fini par arriver. Elle arrive à peine que tu l’abordes frontalement, avec toute ton absence de subtilité et la morgue qui te fait croire que t’es trop merveilleux pour qu’on ne t’accorde pas du temps quand toi, tu l’as décidé.

— J’ai adoré votre spectacle. Vous avez un rythme avec de la personnalité…

Comme t’es tout fou, ton accent ressort et tu sors des mots qui, mis ensemble, peuvent paraître étranges. Ce que tu veux dire, c’est que ça a réussi à te toucher, que c’est digne de toi mais heureusement pour elle, tu ne le balances pas comme ça. Justin et River t’ont appris à ne plus être une aussi grosse catastrophe sociale qu’il y a deux mois… Tu lui souris, solaire, craquant, même si t’essaies pas du tout de la séduire. T’es toi-même, en représentation constante…

@Rhea Sutherland

Oui. Un mot. Trois lettres. Simple. Compréhensible. Avec ses responsabilités ainsi que ses conséquences. Oui. Mot prononcé à la demande de Romy. Regrettais-tu ? Appréhender serait un choix de mot plus judicieux. Habitude qui est la tienne de te produire sous le chapiteau du cirque. Tu ne vois nullement les visages en contrebas, te laissant porter par les divines notes musicales. Tu connaissais le moindre recoin de ce lieu familier. Salutaire. À présent tu devais te lancer dans cette pièce que tu jugeais étriquée. Parfaite pour une exposition de peinture. Bien moins pour ton art. Une promesse était une promesse ! Tu avais pu faire le tour de ce vernissage point d’orgue de mois de travail de la part de ta colocataire. Tu fusses honorée de sa requête d’inclure des performances de la troupe circadienne à laquelle tu appartenais. Véritable liesse lorsque tu avais demandé à tes comparses qui seraient volontaires. Repérage succinct des lieux avant que vous n’organisiez votre show. Chacun trouvant son endroit sublimant vos diverses disciplines. La tienne ? Trônant au milieu de la plus grande salle aux abords de l’œuvre maîtresse. Point par égocentrisme, uniquement de la praticité. Structure en ferraille au plafond, idéale pour y accrocher de façon sécuritaire ton accessoire en tissu, et surtout la hauteur dudit plafond permettant d’évoluer dans les arts sans encombrer le flux des visiteurs. Tout était prêt… Il ne manquait plus que les artistes. Les portes étaient ouvertes permettant ainsi de vous inclure dans leurs observations. Maquillés, habillés des ces chatoyantes couleurs capturant le regard. Un… Deux… Trois… Sauter dans ce vide sans le moindre élan. Oser. Agir. Tes pieds se meuvent t’incluant dans la foule attirant le regard curieux de ces amateurs. Tu pouvais presque voir leurs interrogations pointer au-dessus de leurs têtes. Que pouvais-tu bien faire toi ?

La mélodie annonçant que le projecteur allait pointer sur toi s’élève des hauts parleurs. Les oreilles averties reconnaîtrait les accords de Smells like teen spirit de Nirvana. Frôlant le tissu blanc du bout de tes doigts il te suffit de cette simple inspiration pour plonger dans cet autre univers qui n’appartient qu’à toi. Grimpant avec aisance avec pour seul outil ta propre musculature. Retrouvant les hauteurs afin de contempler le reste du monde. Descente rapide t’arrêtant à quelques centimètres du sol provoquant cette réaction typique de surprise, mêlée à cette frayeur que tu n’arrêtes ta chute. Tu attirais ainsi l’attention de ton auditoire. Sourire étirant tes lèvres avant que tu ne retrouves les hauteurs. Déployant le deuxième tissu commençant ta danse aérienne, faisant de cette matière ton partenaire. Tournoyante démonstration sans la moindre fausse note, chaque mouvement ayant une intention, se calant à merveille sur la mélodie si bien qu’on en viendrait à croire que ce fut la musique qui jouait en fonction des mouvements. Les dernières notes crachées des enceintes tu retrouves le parquet sous tes pieds saluant le public t’applaudissant. Tu disparais afin de retrouver les loges afin de trinquer ton habit de scène pour une tenue plus adaptée. Ne demeurant que ton maquillage coloré ornant tes yeux azuréens pour mémoire de ton passage. Tu prends une coupe de champagne, soufflant un bon coup prête à profiter de ta soirée. Ta main apporte le liquide alcoolisé vers tes lèvres mais aucune goutte ne les touchèrent. Interrompue dans ton geste par une sollicitation inattendue. « J’ai adoré votre spectacle. Vous avez un rythme avec de la personnalité… » Tu esquisses un léger sourire. « Bonsoir, ravie de vous rencontrer aussi ! » Réponds-tu soulignant ce manque de tact, dont tu ne fais absolument pas cas. Disons que les compliments aidaient fortement à laisser passer. « Toujours aussi frontal où ce n’est dû qu’à ma prestation époustouflante ? » Tu prononces ses mots sans animosité plutôt amusée de cette franchise singulière. Léger rire avant de finir par enfin goûter le champagne, savourant son goût.

@Shin Kim  

Tu souris quand elle te salue et souligne le fait que tu as omis de t'acquitter de cette politesse. Elle n'a pas tort mais tu es du genre à ne pas t'encombrer de ces considérations sociales. Pourquoi perdre du temps ? Tu viens pourtant d'une société très codifiée mais justement, cela t'étouffait et tu profites de la rusticité des américains pour t'en affranchir. Du moins tu essaies.

- Toujours. J'aime aller droit au but.

Tu l'imites en portant la flûte à tes lèvres pour boire une gorgée. Tu prends le temps de la regarder de plus près, de la jauger. Pas que tu la mattes, tu n'as jamais été attiré par les femmes et tu as même du mal à interagir avec la majorité d'entre elles de toute façon, ta petite sœur exceptée. La preuve... Tu sens chez elle une forme d'ego qui te parle et te donne l'impression de te regarder dans un miroir. Est ce que vous vous valez, là dessus ?

- Je suis danseur, artiste, j'ai trouvé la prestation très belle, elle inspire des émotions.

Tu as bean parler anglais couramment désormais, tes phrases peuvent paraître un peu hachées ou maladroites quand tu cherches tes mots. Pour ta défense, t'es pas au meilleur de ta forme non plus sur un plan moral et tu es là justement afin de te changer les idées.

- Quel genre d'entraînement ?

Toi t'as donné du sang, de la sueur et un peu de larmes pendant huit à dix heures par jour durant des années pour atteindre la perfection de corps et de mouvements qui est la tienne. En contrepartie, tu te retrouves incapable de faire quoi que ce soit d'autre de constructif. T'es un peu bloqué et t'as pas envie d'y repenser. Tu préfères rêver un peu, te rêver à sa place, te demander quelles émotions on ressent quand on danse de cette façon, avec grâce dans les airs.

@Rhea Sutherland