Soirée entre hommes [Feat. Rome G. Griffin]

@Rome G. Griffin & @Toan Caldwell

La soirée s’était organisée un peu à la dernière minute, il fallait l’avouer. Mais comme il s’agissait d’un soir de la semaine où je ne travaillais pas tard avant de partir quelques jours avec Cricket, je n’avais pas trop réfléchi. Quelques messages échangées avec ma partenaire plus tard, j’avais répondu favorablement à Toan. Il avait été mon voisin, lors de mon arrivée à Seattle, avant de devenir mon ami. Enfin, son épouse et lui, d’ailleurs. Mais la jeune femme était tombée malade peu de temps après la naissance de leur fille, Mallory, et était depuis décédée. Depuis, père et fille avaient déménagé, mais ça ne m’empêchait pas de les voir quand j’avais un peu de temps libre – un peu moins souvent depuis cet été, avec la présence d’Ana à l’appartement, et en me rendant chez lui, je m’étais dit que je ferais bien d’y remédier. Pourquoi pas, un jour, en lui présentant la brune, d’ailleurs. Je pensais sincèrement qu’ils pourraient bien s’entendre.

J’avais quitté le travail sans repasser par chez moi – sinon, je n’aurais peut-être plus eu le courage de repartir, surtout si Cricket et Cooper étaient en train de préparer leur soirée. Je risquais d’être beaucoup trop tenté de rester avec eux. Non, à la place j’avais directement pris la direction de Fremont, m’arrêtant acheter deux pizzas. Bière, pizzas, pote et baseball, ça me paraissait être une parfaite soirée en perspective. En plus ça me ferait du bien de sortir un peu de ma grotte. J’avais vraiment besoin soit de repos, soit de changer d’air. Tout ce qui s’était passé au mois d’août m’avait fichu un coup et il fallait absolument que je rebondisse. Nous avions déjà prévu quelques jours de vacances en couple – nos toutes premières, évidemment – et rien que cette idée me donnait un but. Une soirée entre potes, ça devrait aussi faire l’affaire pour m’aider un peu – et pas avec mes anciens collègues, qui étaient d’excellents amis, mais qui, pour le coup, avaient déjà déployé toutes leurs capacités.

En arrivant chez Toan, je profitais qu’un voisin sorte pour m’engouffrer dans l’immeuble et monter jusque son appartement. La pensée fugitive de savoir ce qu’il penserait de mon nouveau look m’effleura avant de me passer. Je n’étais pas facilement touché par ce que les gens pensaient de moi, physiquement parlant. Enfin, je savais ce que je valais donc les critiques passaient au dessus de ma tête. Mais il m’avait toujours connu avec des cheveux plus ou moins courts et au pire une barbe de quelques jours. Là, parce qu’une certaine demoiselle en avait eu la lubie, j’avais laissé pousser mes cheveux à une longueur suffisante pour qu’ils bouclent et qu’une de ces bouclettes sauvages retombe régulièrement sur mon front, sans compter une barbe qui commençait à sérieusement se fournir tout en restant taillée et entretenue. Ouais, il y avait vraiment eu quelques changements cet été ! En tous cas, je finis par sonner, et la porte s’ouvrit rapidement. Comme d’habitude, aucun chichi inutile entre nous, et j’eus un sourire sincère en passant la porte, soulevant légèrement les deux cartons de pizza pour les rendre visibles.

« Salut ! Service de livraison ! »

Un peu d’humour filtrait de ma voix tandis que je m’engouffrais dans les lieux, trouvant vite mes habitudes pour déposer les pizzas quelque part où ça ne craignait rien avant de me débarrasser de la veste en cuir qui m’évitait de prendre froid, dévoilant un tee-shirt gris clair très simple qui dévoilait assez de mes biceps pour crier haut et fort tenez-vous à carreaux lorsque je travaillais. J’avais la paix en général avec ce genre de tenues, au moins. Je pris finalement la bière que me tendait mon ami, ravi de cette attention qui me ferait le plus grand bien en sortant du travail. J’en bus une gorgée avant de lui répondre en m’installant. Je repoussais ma mèche rebelle en arrière, conscient qu’elle n’y resterait pas longtemps, mais ne supportant plus de la sentir glisser sur mon front.

« Mon été a été … un peu mouvementé. J’ai déclenché une épidémie chez mes anciens collègues, ils sont tous en train de démissionner et de débarquer chez moi en attendant de trouver comment reprendre une vie normale. Donc actuellement on est trois et un chat à vivre dans l’appartement. » Mon sourire était amusé en en parlant, car j’étais ravi de la situation. « Enfin, en tout, j’ai vu 3 colocataires passer, ou alors 2 colocataires et une tornade, je ne sais pas trop. Le dernier colocataire va finir par partir, mais la tornade, je crois que j’ai bien envie de la garder un bon bout de temps. » Je jetais un œil à mon ami. « Bref, c’est un peu le bordel dernièrement. » Passer de célibataire très bien tout seul à colocataire puis à compagnon et colocataire … la situation était un peu déroutante pour moi, et si je savais très bien ce que je ressentais, c’était parfois un peu difficile de tout démêler. « Et toi alors ? Tu n’as pas la petite ce soir ? »

Car je ne voyais pas de trace de Mallory dans l’appartement. Ça arrivait régulièrement qu’elle soit absente lors de nos soirées entre mecs, mais ce n’était pas parce qu’elle me dérangeait. Au contraire même. Je n’avais rien contre les enfants de manière générale – surtout pas contre ceux des autres – même si je n’étais pas spécialement doué avec eux au-delà d’un truc instinctif qui me poussait à éviter qu’ils se cognent ou ce genre de choses. Je n’y étais tout bonnement pas habitué, sans pour autant y être totalement réfractaire. Enfin, tant qu’ils n’étaient pas de moi, parce que j’étais persuadé que je ferais un très mauvais père, mais ça c’était définitivement une autre histoire.

@Rome G. Griffin & @Toan Caldwell

Bière, pote, sport et discussion, c’était une soirée plutôt parfait que se dessinait, et comme toujours les choses étaient assez fluides avec Toan. Il faisait partie des premières personnes que j’avais réellement côtoyé en arrivant à Seattle, seul et déraciné. Passer le cap de la retraite militaire avait été un moment difficile à passer pour moi, surtout vu la façon dont j’avais été mis au rebus, mais il fallait avouer que la présence du couple m’avait aidé. Sa compagne avait fait des efforts pour m’aider à intégrer un nouveau cercle social, m’invitant régulièrement pour une soirée chez eux, et j’avais apprécié l’intention à sa juste valeur. Ils étaient devenus des amis et, même si cela ne pouvait avoir aucune commune mesure par rapport à la douleur de Toan, j’avais été peiné au décès de Lizzie. Alors j’avais jonglé comme je pouvais pour essayer d’être un peu présent pour mon ami, mais la situation avait été difficile pour lui, et j’étais parfois un bien piètre ami. Les relations sociales et les émotions, c’était le grand débat de ma vie. Mais notre amitié n’avait pas été entachée, et nous commencions tout doucement à trouver quand nous revoir.

Évidemment, comme ça n’arrivait pas souvent, il y avait pas mal de choses à raconter. Et même si je n’étais pas naturellement bavard, vu tout ce que mon été m’avait réservé comme surprises, je ne pouvais pas rester complètement silencieux sur les choses. Cricket, Jag et Cooper qui débarquaient tour à tour, l’adoption d’Eagle même si c’était anecdotique … Je pourrais aussi sûrement parler de Robyn, ma demie-sœur, entrée par hasard dans ma vie, mais je n’étais pas certain que j’ai vraiment envie d’entrer dans les détails. Surtout pas avec tout ce qu’il faudrait idéalement expliquer pour rendre la situation compréhensible. Non, parler des trois hurluberlus qui avaient débarqué chacun leur tour, c’était déjà un début plus que suffisant. Il y avait déjà pas mal de choses à dire. Mais je m’étonnais également de l’absence de la petite princesse de mon ami. D’ailleurs, il avait commencé par répondre à cette dernière interrogation, comme s’il gardait pour plus tard toutes les informations que j’avais distribuées juste avant.

« Ah, ton frère doit être ravi que tu la lui laisses, du coup ! C’est vrai que ça doit être pratique de pouvoir compter sur ta famille. »

Ce qui était un concept qui m’était étranger. Ma famille, c’était les deux pilotes et deux navigateurs qui me servaient de meilleurs amis – pour simplifier un peu les choses – et ma mère a Detroit. Je connaissais pour le moment encore trop peu Robyn pour pouvoir réellement la considérer comme fiable. Avec Jac et Coop à Seattle, j’avais depuis peu des personnes sur lesquelles compter. Cricket … Cricket était absolument hors concours. Je me rendais maintenant compte qu’elle aurait sûrement traversé le pays pour moi si j’avais eu besoin d’elle. J’eus un sourire lorsque mon ami releva le fait que j’avais eu un été chargé, car c’était une réalité. Il s’était passé beaucoup, beaucoup de choses. Bien sûr, l’information qu’il retenait le plus était l’information majeure, et je ne rechignais pas à lui répondre.

« Je ne suis pas très loin d’être un homme comblé, j’avoue. » Car à part le petit bordel qu’avait créé la stupéfaction de l’arrivée de Robyn dans ma vie … Tout était pour le mieux, désormais. « Elle s’appelle Ana. Callsign Cricket. On a travaillé ensemble pendant cinq ans, c’était mon binôme attitré. »

Je n’avais pas forcément souvent parlé de mon passé, mais le fait que j’ai fait un passage par l’armée n’avait pas été un tabou, surtout pas avec quelques réflexes que j’avais gardé au début, notamment un maintien rigide et les phrases un peu raides du genre « oui, monsieur » et « non, madame ». Pourtant j’étais un électron libre dans ma carrière militaire, mais il y avait eu quelques formations qui m’étaient proprement rentrées dans le crâne quand même. Mais je m’étais vite réadapté, et dans la vie de tous les jours, à part la rigueur que j’appliquais parfois, il ne restait plus rien de militaire. Dans le boulot, parfois, j’avais encore cette attitude, mais il fallait avouer que le côté moins rigide me convenait beaucoup mieux. Je finis par hausser les épaules en repoussant la mèche de cheveux rebelle qui étaient de nouveau tombé sur mon front.

« Un peu des deux. Je suis généralement ravi de lui faire plaisir mais là ça devient une plaie et elle n’est absolument pas d’accord pour que je fasse disparaître les bouclettes. »

J’eus un sourire en coin. Bordel, en y repensant bien, Cricket me tenait vraiment bien. Parce que comme un foutu idiot j’étais ravi de lui faire plaisir de manière systématique même quand, en réalité, ça me gavait très fort. C’était presque risible et de temps en temps je pourrais bien me demander où était passée ma fierté masculine. Visiblement, quelque part en train de ramper aux pieds d’une petite bombe latine qui pouvait faire ce qu’elle voulait de moi. J’en étais presque un peu ridicule maintenant. Je me retins de lever les yeux au ciel face à cette réalisation, préférant habilement réorienter la conversation ailleurs que sur moi et mon histoire avec Ana après avoir bu une gorgée de bière fraîche.

« Et toi alors ? Quoi de neuf cet été ? »