05 > It's something unpredictable but in the end, it's right | Rome & Ana

@Rome G. Griffin & @Robyn T. Jenkins & @Ana Cortes

Ma journée d’anniversaire s’était étonnamment passée. Elle avait démarré par la plus douce des manières, à peine minuit passé, par quelques échanges de message avec Ana. Puis, à la fin de mon service, plus de réponses de la jolie brune. Généralement, cela voulait simplement dire qu’elle s’était endormie. Pas de nouvelles de Jag non plus, donc à priori il n’y avait certainement personne pour m’attendre à l’appartement en mode ‘surprise !’. J’avais donc opté pour aller boire un verre rapidement au Coyote Ugly sur le chemin du retour. Je n’avais prévu ni de me mettre la tête à l’envers, ni de traîner trop longtemps. Je n’avais juste pas eu envie de rentrer directement pour aller me coucher directement.

Une bière en paix, c’était tout ce que je voulais, à la base. Mais j’avais croisé quelqu’un que je connaissais vaguement, et qui avait étonnamment retenu ma date d’anniversaire. Donc difficilement possible de ne pas trinquer avec ses amis et lui. Une conversation qui n’avait pas été désagréable, tout en restant simplement polie, et j’avais finalement passé un bon moment. Une bière en avait appelé une seconde, mais j’étais quasiment sur le départ à la fin de la seconde bière. Je n’allais pas tarder à partir quand un espèce d’idiot éméché était venu m’emmerder. Il était bourré, je ne comprenais rien à ce qu’il baragouinait, et ça m’avait vite chauffé. La bagarre était partie quand il m’avait empoigné par le col. J’avais vu rouge assez vite. Mais ça n’avait pas eu l’occasion d’aller plus loin qu’un début d’altercation, car nous avions été vite séparés. Après un grognement, j’avais fini ma bière cul sec avant de quitter le lieu sans me retourner. Tout avait déjà été réglé, et le videur n’avait clairement pas la tête de quelqu’un qui allait me laisser m’attarder après ce coup d’éclat.

J’avais donc fini par rentrer me coucher directement. J’avais dormi comme une souche, jusqu’à ce qu’une petite Cricket vienne me réveiller d’une adorable façon. Rien qu’à y songer, j’eus un sourire, et ma main glissa sur la hanche d’Ana d’une manière entendue. La journée avait été pleine de rebondissements, et maintenant que Jag était sorti, nous étions tous les deux installés dans le canapé, légèrement entremêlés même si nous étions sages comme des images ; l’épaule de Cricket ne permettait pas la moindre frivolité. Je somnolais à moitié sur ce qu’elle avait mis à la télé, ressassant en partie ma journée et profitant simplement qu’un pas majeur ait été fait. Si j’avais été un chat, j’aurais ronronné. Mais pour ça, on pouvait clairement compter sur Eagle, vautré sur le dos, calé entre nous deux. Une dure vie que celle du microbe qui poussait tout doucement.

J’avais fini par décaler délicatement Cricket pour sortir du canapé et aller chercher quelque chose à grignoter. Elle avait l’air si concentrée sur son émission que j’estimais que je l’avais assez dérangée en la faisant bouger pour sortir du canapé. Plutôt que de la déranger à nouveau en lui demandant si elle voulait quoi que ce soit, je pris le parti de prendre aussi une collation pour elle, profitant pour embarquer une bouteille de soda et une paire de verres. Il y avait une table basse, autant qu’elle serve à quelque chose. J’avais à peine déposé les victuailles sur la table que trois coups résonnèrent à la porte. Une coup d’œil à la petite bombe latine suffit à savoir qu’elle n’avait rien à voir là-dedans, et je ne me fis pas prier avant d’aller ouvrir. Ma main à couper que c’était pour moi, de toute façon.

Je marquais un temps d’arrêt, en ouvrant. C’était un visage que je ne connaissais que beaucoup trop bien, qui se tenait devant moi. L’impression d’être fou était bien présente. Cette fille, elle travaillait au Coyote Ugly. Je l’évitais du mieux que je pouvais dès que je me rendais dans le bar pour boire un verre, et je faisais en sorte de ne pas la garder trop dans mon champ de vision lorsqu’elle passait au Witness. Sa ressemblance frappante avec un visage que je préférerais oublier me mettait mal à l’aise, secouant de très mauvais souvenirs chez moi. Mais elle était là. Elle avait ouvert la bouche, l’air mal assurée. Moi, je n’avais pas desserré les dents, lui donnant mentalement trente secondes avant de l’envoyer bouler. Mais elle avait fini par parler. Mon regard s’était posé sur l’objet en cuir, avant que je ne parle, m’exhortant au maximum à rester au minimum poli.

« C’est moi. Où t’as trouvé ça ? »

Je n’avais pas réagi au fait qu’elle m’appelle par mon prénom de naissance. Ce n’était pas le plus important, pour le moment. J’avais tendu la main pour récupérer mon bien. Je ne m’étais même pas rendu compte de l’avoir perdu, c’était pour dire. À ma décharge, je n’avais pas cherché à sortir de la journée, bien assez occupé avec tout ce qu’il s’était passé. Un rapide coup d’œil m’apprit que rien ne semblait manquer. Pas même la somme en liquide qu’il comportait, seul moyen de paiement embarqué dans ce porte-feuille. Je le glissais dans ma poche arrière de jean, conscient qu’il allait falloir que je sois plus prudent, à l’avenir. En plus, je n’aimais pas l’idée que quelqu’un connaisse mon adresse.

« Merci de l’avoir déposé. Tu bosses au Coyote, c’est ça ? »

Je n’étais pas du tout à l’aise dans la conversation, même si je donnais facilement le change tout de même. Mais Ana était dans l’appartement, et j’étais clairement disproportionnellement protecteur lorsqu’il s’agissait d’elle. Cette femme, fasse à moi, déclenchait pas mal de sirènes dans mon crâne. J’avais l’impression de revoir ma mère biologique, face à moi, à peu près comme la dernière fois que je l’avais vue. Ça me donnait la très désagréable sensation de me retrouver face à mon passé, et ça n’avait strictement rien d’agréable. Mon attitude était fermée, tant au niveau de mon visage qu’aucun sourire n’éclairait – mais au moins ma mâchoire n’était pas trop serrée, ce qui était déjà un bon début – qu’au niveau de ma position, verrouillant clairement toute possibilité de s’introduire dans l’appartement. J’étais quelqu’un de particulièrement méfiant, et là, ma méfiance était clairement activée. Une inconnue avec mon porte-feuille à ma porte, qui me rappelait un souvenir presque fantomatique … On avait clairement déjà trouvé mieux pour me mettre dans de bonnes dispositions.

@Rome G. Griffin & @Robyn T. Jenkins & @Ana Cortes

L’attention accrue que me portait la visiteuse était dérangeante. La sensation que j’avais d’être sous le regard de ma génitrice était dérangeante, et clairement, le malaise ne me donnait pas la moindre envie de me montrer aimable. Elle était venue interrompre un bon moment, un moment léger et doux avec Cricket, dont j’avais pleinement apprécié le cadeau d’anniversaire. Et maintenant elle m’observait comme à la recherche de quelque chose, quand elle ne rompait pas le contact pour ne plus sembler me regarder … Un frisson dévala ma colonne vertébrale. La situation m’était tout sauf agréable, pour l’occasion. Et le fait que ce soit pour un porte-feuille perdu n’aidait pas du tout à me détendre. J’allais devoir être plus prudent, mais ça allumait surtout ma méfiance, qui n’était naturellement jamais très loin, cela dit. Mais comme il me restait un minimum de politesse, j’avais quand même remercié cette fille, essayant par la même occasion de remettre en contexte là où j’avais déjà pu la voir. La réponse était bien debout sur le bar du CU, visiblement.

Sa présence dans le bar m’avait toujours donné envie de me tenir le plus loin possible d’elle, à cause de la sensation de voir apparaître un fantôme de mon passé. Ça avait marché jusque là, et voilà qu’elle débarquait devant ma porte. Je ne pouvais pas tellement lui claquer la porte au nez, mais sourire était quelque chose qui m’était complètement impossible, pour le moment. Je n’étais déjà pas quelqu’un de très expansif sauf avec les personnes qui m’étaient réellement les plus proches – ce qui se résumait donc à ma mère, Ana, Coop, Jag et Beaver, le tour était vite fait – mais avec une inconnue qui connaissait mon adresse, c’était encore pire. Néanmoins, elle s’expliqua assez rapidement sur son obtention dudit portefeuille, et vu ma fin de soirée au Coyote, ça ne me paraissait vraiment pas impossible. J’avais juste été stupide de ne pas m’assurer que j’avais toutes mes affaires sur moi en partant.

« Ouais, ça m’étonne pas qu’il soit tombé vu comment ma soirée a tourné. » Enfin, ce n’était qu’une petite bagarre parmi tant d’autres. J’y étais rompu depuis longtemps, surtout que j’avais le sang chaud et un tempérament bagarreur naturel. Je m’étais seulement calmé avec les années, mais je n’étais toujours pas du genre à me laisser faire. « J’apprécie de pas avoir besoin de me déplacer au poste pour récupérer ça, ça m’aurait bien bousillé la journée. »

Parce que ça m’aurait mis les nerfs en pelote, qu’en plus j’aurais du l’expliquer à Cricket – enfin là j’imaginais bien que j’aurais aussi des comptes à rendre, mais soit, la partie intéressante de la journée était au moins passée sans la moindre prise de tête à l’horizon – et surtout je n’avais aucune envie de perdre du temps le jour de mon anniversaire. Évidemment, même si je ne grognais pas ouvertement sur mon interlocutrice, je n’étais pas subitement devenu le plus chaleureux du monde. Il fallait aussi me comprendre. Ma méfiance naturelle était clairement quelque chose que j’avais de bien chevillé au corps. Alors quand, mal à l’aise, mon interlocutrice reprit la parole … Ma main se resserra dans un réflexe sur la porte qu’elle maintenait. Je penchais légèrement la tête en avant, écoutant avec attention ce qu’elle avait à me dire.

Elle me cherchait. Cette phrase fit courir une suée froide le long de mon dos. Je n’aimais pas du tout la tournure que prenaient les évènements ; je détestais l’idée même de ce qu’elle venait de dire. Des alarmes clignotaient dans tous les sens dans mon crâne. Aussi peu loquace que je puisse m’avérer, un mot s’échappa tout de même de mes lèvres, un mot murmuré juste assez fort pour qu’elle l’entende, d’une voix tendue. Je n’étais pas quelqu’un de peureux. J’avais juste érigé de très hauts murs autour de ma vie.

« Pourquoi ? »

Encore un instant, et ce qu’elle annonça me fit plus ou moins l’effet d’une gifle. Enfin, une gifle que j’aurais pu voir venir, vu tous les voyants rouges que sa ressemblance avec Mary avait éveillé en moi. Elle ressemblait à notre mère au même âge comme deux gouttes d’eau. Même ma sœur aînée ne lui avait jamais tant ressemblé. Quant à moi … Eh bien, la ressemblance n’avait jamais été flagrante. Ni avec elle, ni avec mon père, d’ailleurs. À se demander de où je pouvais bien débarquer, moi. Mais soit. J’essayais surtout de calmer le bouillonnement de mes émotions. Je cillai, avant de répondre.

« J’aurais du m’en douter. Tu lui ressembles comme deux gouttes d’eau. » Il n’y avait pas vraiment d’émotions dans ma voix. Mais j’observais Robyn différemment, cette fois-ci. Cherchant clairement une réponse sur son visage. Était-elle comme elle ? Quels étaient les risques si je ne lui claquais pas la porte au nez immédiatement ? Que perdrais-je à ne pas la laisser un minimum s’exprimer ? Comme toujours, chez moi, les émotions passaient à travers mon regard, là où le reste de mon visage restait impassible. Mais au moins, plus totalement hostile. Je me redressais face à elle, avant de pencher légèrement la tête sur le côté, ouvertement inquisiteur. Je n’y allais pas souvent par quatre chemins. « Qu’est-ce que tu me veux, Robyn ? Parce qu’il y a très longtemps que j’ai coupé les ponts avec tout ce qui se rapporte à elle. »

Il demeurait une note de curiosité, dans ma voix. J’avais beau être dans une pleine tempête d’émotions contradictoires, je ne pouvais pas m’empêcher de me demander pourquoi. Et j’espérais une réponse, en quelques sortes. Pourquoi être venue à moi ? Pourquoi me chercher ? Depuis combien de temps ? Par quels moyens ? Ce n’était clairement pas à travers cette porte que j’obtiendrais des réponses, mais … Je jetais un regard par dessus mon épaule. Un regard vers Cricket, qui était dans cet appartement. Jag était sorti et ne reviendrait pas avant assez tard dans la nuit. Mais Ana … Elle avait beau savoir l’existence de ma famille problématique, je n’avais aucune envie qu’elle se retrouve prise là-dedans. J’étais incertain que cette sœur qui venait de débarquer devant la porte ne soit pas dangereuse pour elle, et ça me retenait. Ça me retenait clairement, et ça se voyait dans mon regard, pour les quelques secondes où j’avais cherché le sien, conscient qu’elle devait avoir entendu et compris certaines choses, et que je ne pourrais pas échapper à une conversation. Mon regard se reposa sur Robyn après cet instant. Je me fichais d’être impoli, je pouvais même parfois être brut de décoffrage. Mais j’avais une question majeure pour l’occasion. Quelque chose qu’une part de moi avait besoin d’entendre.

« Quel âge tu as ? »

A quel moment notre mère avait-elle décidé qu’après avoir bousillé l’enfance de deux enfants innocents, elle en voulait un troisième ?