Misère, le frère est là

Cela fait quelques jours et même quelques semaines que je travaille au Coyote Ugly. Qui aurait cru que la petite Miley deviendrait une barmaid dans un lieu pas comme les autres ? Personne. Et pourtant, je me plais bien là-bas. L’équipe a su très vite me mettre à l’aise. En même temps, c’est facile, je connais déjà Vic depuis son histoire « d’amour » avec mon grand frère. Il m’arrive tout de même par moment de ne pas être très à l’aise. Quand il y a des gros lourds au bar, bien trop insistants, ce n’est pas la partie que je préfère. La patronne a bien fait d’embaucher des agents de sécurité pour faire attention à nous. Si plusieurs mecs venaient à nous tomber dessus, je ne suis pas sûre qu’on fasse le poids. C’est bien beau d’être une grande gueule pour certaines – pire encore pour moi – mais le nombre et les muscles de ces poivrots nous engloutiraient en moins de deux. Je me sens donc plus en sécurité avec des personnes assurant notre sécurité pas très loin de nous.

Ce soir, comme la plupart des soirs, je suis derrière le comptoir. Je crie pour me faire entendre avec le brouhaha incessant et la musique forte. A la fin de la nuit de service, je finis avec des acouphènes. C’est le jeu ! Plus d’un client profite de me draguer en même temps que passer la commande. Les premiers temps, je me faisais avoir. Pour me faire accepter, je buvais dans chaque verre qu’on m’offrait. A la fin de la nuit, je finissais complètement bourrée à ne plus tenir debout et avec un bon mal de casque le lendemain. De base, je ne suis pas une grande fêtarde et l’alcool n’est pas du tout mon truc. Me voyant en panique une soir, Darcy m’a expliqué la technique : il faut recracher dans la bouteille lorsqu’on t’offre un shot. Les premières fois, je m’en voulais d’un point de vue hygiène. En plus de ça, mon geste n’était pas très fluide. Mais après quelques entrainements, j’ai pris le coup de main et l’action passe comme une lettre à La Poste. Et je n’ai plus aucune gêne devant ces alcooliques qui pourraient boire n’importe quoi.

Ce soir-là, il y a du monde. La foule est en délire et on ne sait plus où donner de la tête. J’enchaine auprès de tout le monde pour être partout, pour satisfaire tout le monde, tout le temps. J’ai l’impression de devoir prouver encore ma place par ici. Une de mes collègues m’ordonne d’aller servir le mec au bout du comptoir qui attend depuis plusieurs secondes. Je tourne la tête pour voir qui c’est et là… MON FRERE ! Pour rappel, mon frère ne sait absolument pas que je travaille ici. En plus de ça, il ne supporterait pas de me voir au milieu de tous ces goujats. Il est plus que protecteur avec moi, surtout depuis mon histoire d’amour toxique. Evidemment, je sais qu’il est venu plusieurs fois depuis que je travaille au Coyote Ugly mais j’ai toujours fait en sorte de l’éviter. Là, je ne peux plus reculer. Et ma collègue est déjà partie, je ne peux pas me défiler… Je me pointe devant lui, un peu penaude et pas fière du tout. Tiens Volky, salut, je peux te servir un truc à boire ? Je te l’offre ! Faire croire que c’est normal. Passer la pommade en lui offrant à boire. Telles sont mes armes pour ne pas me faire allumer par mon frère ni voir de la déception dans ses yeux.

@Volkann Solberg

Il y a de nombreux bars dans Seattle mais il a fallu que mon frère vienne ici ce soir, alors que je suis de service. En plus de ça, ma collègue m'a bien fait comprendre qu'il fallait que je m'occupe de lui car elle, elle ne pouvait pas. Ce soir, il y a un monde fou. Nous sommes clairement dépassées par les évènements. Les jours se suivent mais se ressemblent sur ce point-là.
Je ne peux pas me défiler devant mon grand frère, Volkann. Il est devant moi. Alors je tente de noyer le poisson. Je parle vite, je lui propose de lui offrir un verre. Ce qu'il veut, c'est moi qui offre. Mais le poisson se noie pas. Sa tête change complètement, il se ferme, ne sourit plus. Il est choqué. Et moi, je rougis instantanément. Si je pouvais me cacher dans un trou de souris, je filerais aussi vite que possible. Or, je suis obligée de l'affronter. Je souris, gênée, toujours rouge comme une pivoine. Il croit à une blague. Mais ce n'en est pas une. J'aurais peut-être dû lui dire bien plus tôt. Ça m'aurait évité ce moment très gênant. Mais comment lui dire que sa petite sœur chérie, toute timide et propre sur elle, travaille dans un bar à l'ambiance très chaude ? Je n'ai pas pu. Ce ne sont pas les occasions qui ont manqué pourtant. Alors je réponds un simple Non… sur sa question qui n'en est pas une.
Il n'a pas l'air d'avoir soif puisqu'il ne passe pas commande. Il est plutôt intéressé par moi et moi seule. Savoir ce que je foutais là. Je sens que je le déçois et ça me met mal. Je travaille ici depuis début avril. Tu sais, la librairie où je bossais a fermé. Il fallait que je trouve quelque chose pour garder mon appart' et payer mes factures. Et l'opportunité s'est présentée… Je regarde le comptoir tout collant, ne pouvant affronter le regard de mon grand frère protecteur. Je triture le bois, il faut que je m'occupe les doigts. Puis, j'ose relever le menton et affronter son regard. Je te déçois ? Dis-je avec une petite voix de gamine malgré le brouhaha incessant du Coyote Ugly.

Volkann tombe de six étages en découvrant où je travaille. En même temps, il doit s'attendre à ce que je travaille dans une boutique multimédias, librairie ou autre. Mais sûrement pas un bar où on danse sur le comptoir en tenue sexy pour faire consommer les mecs assoiffés de corps féminins. Je sens que je dois me justifier devant mon grand frère alors je lui explique le pourquoi du comment je travaille ici. Evidemment, ce n'est pas mon premier choix de carrière. Ni même le deuxième. Mais ce boulot me permet de garder mon appartement et payer mes factures. Et faut le reconnaitre, ça paye bien. Je ne ferais pas ça toute ma vie mais quelques temps au moins pour me remettre à flot.
Volkann ne comprend pas pourquoi ce silence. A voir ma tête, il devait savoir. La honte. Je ne voulais pas vous décevoir... Et je voulais me débrouiller par moi même. Et regarde, j'ai réussi... en quelque sorte. J'ai réussi à me sortir de la galère par mes propres moyens. Je ne regrette absolument rien.
Si ce n'est peut-être la déception de ma famille. Je ne veux pas qu'ils aient honte que je travaille là. Alors Volkann tente de me rassurer en prenant ma main. Je lui souris d'une manière attendrissante. Il me rassure avec des excuses et explique son choc. Je peux totalement le comprendre. Je serais bien la dernière personne de cette famille à travailler dans ce genre d'endroits. Et pourtant, il faut se méfier des apparences. Je lui caresse la main avec un doigt. Merci Volky ! Je me doute que cet endroit ne correspond pas trop à l'image que je renvoie. Dis je en haussant les épaules. Ma vie a été caractérisée avec des étiquettes afin de nous comparer, ma jumelle et moi. Et là, j'envoie complètement valser ces étiquettes. Je suis là où l'on ne m'attend pas.
Rassurée par les mots de Volkann, je peux reprendre là où j'en étais, c'est à dire, lui servir une bière comme il vient de me demander. Il me lâche la main et je m'affaire avec la tireuse pour lui servir une bière. Je lui mets devant et avant même que je puisse lui dire que je lui offre, il veut savoir si on me met des mains aux fesses. Je ne veux pas encore te mentir... On est au Coyote Ugly, Volky ! Je hausse les épaules. Les premiers temps, je ne supportais pas cette proximité avec les clients. Je n'étais pas à l'aise du tout. Mais avec le temps, je me rebiffe, je ne me laisse pas marcher dessus et je sais dire ce que je veux ou je ne veux pas. Finalement, ce job me sort complètement de ma zone de confort et me permet d'évoluer. Mais ne t'inquiètes pas, je sais me défendre et il y a des videurs juste ici. Lui dis je en pointant du doigt un homme avec des gros biscottos.
Je ne peux pas le changer. Volkann a toujours été un grand frère protecteur avec moi et encore plus avec ma dernière - et seule - relation amoureuse chaotique. Avec toutes ces émotions, je t'offre cette bière ! M'esclaffai-je. Il vaut mieux prendre tout ça à la rigolade maintenant.