For too long, I bide my time (Ella #02)

Les premiers jours de sa convalescence sont les plus difficiles. Ella lui avait dit et elle avait raison. Il se déplace toujours en slow motion et marmonne des jurons à chaque mouvement un peu trop brusque, trop rapide … au moindre mouvement. Il passe ces premiers jours sous la surveillance de son amie et il se rend compte que c’est une bonne idée vu qu’il aurait été incapable de s’occuper de son appartement. Il est en train de se faire une tasse de thé dans la cuisine quand on sonne plusieurs fois à la porte. Impossible que ce soit Alana, elle est chez sa meilleure amie pour le week-end. Il fronce les sourcils et finit par se diriger vers la porte d’entrée au cas où ce soit une urgence. Petite urgence, oui. Quand il ouvre la porte d’entrée, ce n’est pas un livreur pour un colis mais bel et bien le fiancé, l’ex-fiancé d’Ella sur le pas de la porte. Liko laisse échapper un « oh ». « oh ? » Il secoue la tête de droite à gauche. « Désolé, je ne m’attendais pas à te voir ici … » « On est deux. » « Ella est encore au boulot, elle devrait pas tarder à rentrer … »  Il désigne l’intérieur mais ne l’y invite pas. Quelles sont les règles à suivre dans un cas comme celui-ci ? Est-ce qu’elle aurait été d’accord pour qu’il le laisse entrer ou aurait-elle voulu qu’il se comporte en pitbull ? « Laisse-tomber. Je suis juste venu lui ramener quelques affaires que j’avais encore à la maison. » et il lui tend un petit carton que Liko prend, une grimace de douleur aux lèvres. « C’est drôle, Liko, je pensais que j’étais cinglé … j’y ai cru à un moment donné mais au final je suis content de voir que je ne suis pas fou, qu’il y a bien un truc entre vous et ravi de voir qu’elle a eu enfin le courage de t’en parler. » Les sourcils du géant se froncent, perdu. « Pas la peine de m’jouer la carte du mec qui sait pas --- pas besoin de cacher le fait que tu te tapes mon ex, Liko. » Un rire nerveux. « Ah non mais pas du tout … pas. Du. Tout. » « Si c’est pas le cas, il serait peut-être temps de lui dire qu’il se passera jamais rien entre vous … histoire qu’elle aille de l’avant, qu’elle ne plante pas son prochain fiancé pour un type qui n’en a rien à foutre de sa gueule … oh mais tu sais quoi, laisse-tomber, va. » La porte se referme après d’autres échanges alambiqués concernant son rôle dans la séparation du duo.

Quand Ella débarque après plusieurs heures, Liko est assis dans son canapé. La télévision est en marche mais il ne semble pas la regarder. Il a l’air perdu. Oui, il est perdu dans ses pensées. Et il sursaute presque en la voyant apparaître. « Ella ? Est-ce que je t’empêche d’avancer ? », qu’il demande brusquement, d’une voix ô combien calme et posée. Son regard se pose sur les traits de son visage. Apparemment, il a repassé les dernières années de leur vie durant ces dernières heures.

Il la suit du regard. Il l’observe venir se placer à ses côtés. C’est encore plus difficile maintenant qu’elle est là. Il avait passé les heures précédentes à essayer de se souvenir de l’enthousiasme de la jeune femme pour ce mariage à venir. Il avait essayé de se souvenir de leurs échanges à ce sujet. Il avait essayé de se souvenir l’entendre lui parler d’avenir, de projets d’avenirs … tout comme il avait essayé de se souvenir de ce qu’il avait ressenti quand elle lui avait annoncé ces fiançailles … il ne s’en était pas réjoui, il avait même dit que c’était précipité mais qu’il serait là, toujours là. Il se souvient même que sa fille Alana lui a dit qu’il allait regretter de ne pas être invité à son enterrement de jeune fille … Est-ce que c’était de la jalousie qui l’avait animée à cet instant ? Était-il jaloux des hommes de sa vie ? Son regard avait balayé les lieux de son appartement et il avait eu la nausée en imaginant les rencontres qui étaient venues jusqu’ici, jusqu’à dans ses draps. Jaloux, il l’était. Sans le moindre doute.

Et s’il l’empêchait d’avancer ? Et si elle se refusait d’être heureuse à cause de lui ? Depuis la mort de son épouse, il n’avait jamais eu de relations sérieuses ou non sérieuses d’ailleurs. Une vie de célibataire. A se focaliser sur sa fille et son boulot. Ella avait été la constante des dernières années. « D'avancer ? Mais pourquoi tu me dis une chose pareille. C'est complètement absurde. » Son regard se baisse sur ses doigts qui caressent son bras et l’électrise. « Tout va bien ? Qu'est-ce qui s'est passé ? » « Ton ex est venu te ramener quelques affaires, » il désigne d’un geste de la main l’endroit où se trouvait le carton, « il est convaincu que je suis la raison de votre séparation, que je suis la raison pour laquelle tu n’avances … pas dans la vie … avec lui --- je trouve ça un peu grotesque étant donné que nous sommes amis depuis … », il siffle comme pour indiquer que ça remonte à de trop nombreuses années, « mais il avait l’air si convaincu, si convaincant … » Il secoue la tête et se tourne un peu plus vers elle.

« Tu sais que tout ce qui compte à mes yeux, c’est que tu sois heureuse --- pas vrai ? » Sa lourde main vient se poser sur son genou. « Et que si tu es heureuse avec lui, tu as tout mon soutien … je serais même prêt à faire un effort et rire à ses blagues. » Il sourit alors que son pouce caresse doucement son genou.

« Henry …»
« Henry », qu’il répète pour confirmer en acquiesçant d’un signe de tête.
« Il est en colère, il est triste. Probablement que ses mots dépassent sa pensée. Tu ne devrais pas l'écouter. »
« Ah », dit-il d’abord avant d’ajouter avec une certaine pointe de déception dans la voix, peut-être plus qu’il ne l’aurait voulu, « d’accord, je voulais juste m’en assurer. » S’assurer que l’ancien petit-ami est fou. S’assurer de ne pas faire le moindre pas dans sa direction. Mieux vaut rester distant, prudent. Mieux ne vaut pas avouer des sentiments qui pourraient tout changer. Oh oui ! Ils étaient amis, confidents, partenaires de tant de choses … des sentiments amoureux viendrait mettre le chaos dans leur relation. Et sa fille voyait Ella comme une marraine, une amie proche de la famille, la figure féminine … non, il ne pouvait pas prendre le moindre risque.
« C’est très gentil à toi mais non, je ne serais pas heureuse avec lui et je le sais ! » Il acquiesce, silencieux et docile, tout en gardant son regard ancré dans le sien. « Personne ne m’empêche d’avancer, je ne suis pas amoureuse de lui comme je devrais, c’est tout. »
Elle se lève du canapé et il la suit du regard se diriger vers la cuisine tout en se demandant s’il n’a pas fait un pas de trop dans sa vie privée. Que lui a-t-il pris ? Pourquoi s’est-il mis à se poser autant de questions ? A vrai dire, il aurait aimé qu’elle lui dise ne pas être fou, que Henry avait vu juste … une partie de lui aurait aimé tout comme une autre partie de lui était ravi de ne voir aucun changement dans leur relation. « Tu veux quelque chose ? Café ? Thé ? » Quand elle lui pose la question, il est dans l’encadrement de la porte.
« Je suis désolé, je n’aurai pas dû te poser cette question, je n’aurai même pas dû avoir le moindre doute, » il décale son épaule de l’encadrement de la porte pour faire un pas dans la cuisine, « ça fait de moi un putain d’égocentrique de l’avoir cru. » Un rire nerveux et il se tait soudain pour reprendre : « j’crois qu’il est même possible que ça m’ait plu d’y croire … un instant … » Il se pince les lèvres et croise les bras. « Dès lundi, je rentre à la maison avec Alana. Il est temps d’arrêter d’être tes animaux de compagnie et de squater chez toi. » Et ça sera sans doute plus sain.

« Pardon ? Arrête de dire des conneries ! Je sais que tu aimes avoir l'attention de toutes les femmes de Seattle ! Ce n'est pas une de moins qui te dérangera. » Elle rit mais il ne rit pas. Son rire ne vient pas rejoindre le sien, il a plutôt un drôle d’air au visage, un air gêné ou quelque chose qui s’y rapproche. Liko ne la quitte pas du regard. « Hm … », réplique-t-il d’un air pensif sans pour autant être très convaincu. Liko n’est pas un bourreau des cœurs … enfin, il y a peut-être quelques femmes qui essaient de le convaincre de l’être mais Liko trouve et a toujours trouvé une excuse pour prendre ses distances. Il aimait prendre sa fille comme excuse. Ça marchait toujours à ravir. D’ailleurs, il allait devoir quitter cet appartement pour retrouver le leur … avec Alana. Il fallait prendre ses distances. « Tu n’es pas obligé tu sais ... », son regard se baisse sur la médecin qui a le malheur de venir poser une main sur sa joue. Son regard s’accroche au sien, s’y plonge à la recherche des clefs pour savoir ce qui se passe dans sa psyché. A quoi pense-t-elle ? « Je ne suis pas certaine que ton état de santé le permet ... et puis, j’aime te savoir près de moi. » Le regard du géant se plisse légèrement, et il essaie de savoir, de deviner s’il n’y a pas quelques mots, quelques pensées qui se cachent entre les lignes. « Ça va un peu mieux, tu le sais aussi bien que moi », toujours en rémission mais il pouvait au moins se déplacer sans lâcher des jurons à chaque pas … ce qui en soi était une révolution par rapport aux premiers jours, « et j’suis jamais très loin quoiqu’il arrive. » Sa main vient se poser sur son poignet pour, avec la plus grande douceur qui soit, retirer sa main de sa joue. Son regard ne quitte pas le sien. Sa main ne quitte pas son poignet. Et le duo est toujours dans l’encadrement de cette porte.

« Il ne faut pas que je commence à prendre mes habitudes ici …. » Ses lèvres s’étirent en un fin sourire.

« Je sais mais ... je me sentais étrangement en sécurité avec toi, près de moi. » Il sourit avec tendresse parce qu’il est un peu fou de se sentir en sécurité aux côtés du géant en ce moment. Il ne serait même pas capable de prendre ses jambes à son cou ou de blesser qui que ce soit, quoique ce soit. Il ne bouge pas. Il ne part pas car il sent et sait que quelque chose est sur le point de se produire. C’est souvent comme ça, à ce qu’il paraît. Ce genre de bouleversement, ça se ressent … une sorte d’instinct chez l’être humian. Il ne sait pas ce qu’il va se passer mais il se doute de quelque chose, il y a quelque chose dans l’air de pesant … si pesant que ses pieds demeurent ancrés dans le sol, son regard demeure rivé sur la jeune femme qui lui tourne le dos avant de laisser un soupir s’échapper de ses rêves. Préparation à la tempête. « Tu sais quoi ? Tu veux savoir un truc fou ? » Il acquiesce, silencieux. « Non, Henry n'avait pas tort. » Les sourcils se froncent légèrement, impatient de connaître la suite. « Effectivement, je lui ai dit que j'avais des sentiments pour quelqu'un d'autre. J'ai dit ce n'était pas celui qui faisait battre mon cœur comme il se devrait... Je lui ai dit tout ça effectivement. Il a bien raison de m'en vouloir. » « Oh », laisse-t-il s’échapper prenant conscience des maux du fiancé éconduit. Il avait, en effet, tous les droits d’être agacés, énervés, déçus, en colère … « Tout comme il a raison de t'en vouloir à toi aussi … Parce que c'est toi … cet autre quelqu'un… » Les paroles de la jeune femme l’électrocutent. Il est figé sur place alors que son regard ne bouge as non plus. Il cligne des yeux. Une fois. Deux fois. Si c’est une blague, elle n’est pas drôle. Si c’est une blague, elle a vite intérêt à en trouver la chute car là, c’est lui qui est en train de chuter.
« Tu ... Si tu veux partir ce soir, tu peux. » Doucement, il revient à la réalité. Ella a des sentiments pour lui. Pour lui. Il avait été celui qui était là à toutes les étapes de sa relation, tout comme elle avait été à tous les moments importants de sa vie, encore plus depuis le décès de son épouse. Ils avaient construit une relation platonique sans imaginer que cette dernière puisse être autre chose. Il n’y avait jamais pensé car il s’était toujours senti, cru être le « buddy ».

« Woh », lâche-t-il d’abord parce que construire une phrase demeure trop d’effort pour l’instant. Il le répète même une seconde fois ce mot en passant une main dans ses cheveux. « Je --- je savais pas que --- ça fait combien de temps que --- », combien de temps qu’ils « perdent leur temps ». Il se rend compte en prenant la parole qu’il ne dit pas les mots justes, qu’il n’a pas les bons mots, non. Il s’embrouille car ses pensées sont embrouillées. Il ne s’était jamais imaginé que … « Je suis désolé », dit-il à demi-voix tout en haussant les épaules. Encore une fois pas les bons mots. Alors, il s’empresse d’ajouter : « Non non je suis désolé de ne pas avoir vu, de ne pas avoir compris plus tôt … » Le géant fait un pas vers elle.

« Je ne plaisantais pas, Ella, ça m’a vraiment plu l’idée qu’il ait raison … »

tw. deuil. veuvage.

« S'il te plaît ... » Il se tait, docile. « N'ajoute rien ! Je n'aurais jamais dû t'en parler. » Il déglutit quand il la voit avoir un pas de recul. C’est ce qui arrive quand on ne trouve pas les mots justes. « S'il te plait Liko, je n'ai pas envie que tu me serves ta pitié sur un plateau d'argent. J'ai toujours été l'amie de ta femme et ça restera ainsi je sais. » Aura. Elle mentionne sa défunte femme Aura et un voile passe dans son regard. Aura a été l’amour de sa vie. Le jour où il a posé son genou au sol pour lui demander sa main, il en était convaincu. Il avait eu la folie de croire pouvoir terminer ses jours avec elle mais elle était partie plus tôt, plus tôt que prévu, plus tôt que lui. Ella avait été son amie. Elle avait été là. Il se souvenait même de son rire lorsqu’elle venait partager quelques après-midis avec sa femme tout comme il se souvient de leurs éclats de rire quand ils s’étaient rapprochés après son décès. Elle était devenue son amie. Elle était devenue son pilier.

Il la suit du regard alors qu’elle vient déposer un chaste baiser sur sa joue qui le laisse sans mot. « Je suis à peu près certaine que ces révélations-là vont mettre fin à notre amitié, mais je suis prête à l'assumer. J'aimais mieux tout avouer ce que j'avais sur le cœur, plutôt que de garder tout ça en dedans. » Ella offre une tape sur son épaule et il tourne la tête vers elle, l’air tout aussi perdu que perplexe. « Oublie tout ça, okay ? » Liko secoue la tête de droite à gauche. « Quoi ? Tu veux que j’oublie … ? », qu’il demande en fronçant les sourcils, question plus pour la forme que pour le fond. Il ne veut pas oublier. Il ne peut pas oublier. Comment oublier une révélation telle que celle-ci ? « Ça fait longtemps que tu n’es plus uniquement l’amie d’Aura mais bien plus. Ne me dis pas que tu ne t’en es pas rendue compte au cours des dernières années », demande-t-il en croisant les bras, plantant son regard dans le sien.